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De Schumann à Bésame Mucho en passant par Granados

Etsuko Hirose au piano.
Le Concerto pour piano et orchestre
en la mineur opus 54 de Schumann
et le Concerto pour piano et orchestre n°2
en la majeur de Liszt, avec l’orchestre de Pau.

Lors de mon dernier séjour à Pau pour les ateliers que je mène autour du Collège Marguerite de Navarre, j’ai eu le plaisir de dîner comme à chacune de mes venues avec des amis d’Élise Lamiscarre. L’un d’eux, Jean-Marie Faye, cycliste mélomane, m’a offert un très beau disque de l’Orchestre de Pau Pays de Bearn, sous la direction de Fayçal Karaoui, avec la belle et talentueuse Etsuko Hirose au piano. Le Concerto pour piano et orchestre en la mineur opus 54 de Schumann et le Concerto pour piano et orchestre n°2 en la majeur de Liszt.

Jean-Marie m’a raconté pendant le repas pourquoi l’on retrouve l’air de Bésame mucho dans le Concerto pour piano en la mineur op. 54 de Robert Schumann. Son histoire m’a intrigué. De retour à Paris, consultant Internet j’ai été surpris de trouver très peu de choses à ce sujet. Je vais donc essayer de tisser ici les liens étonnants qui réunissent ces deux œuvres à la première écoute si lointaines.

Clara et Robert Schumann

« Le Concerto pour piano en la mineur op. 54 de Robert Schumann, achevé en 1845, est un concerto pour piano de l’ère romantique.
C’est d’ailleurs le seul concerto pour piano que le compositeur allemand acheva, trois projets antérieurs étant restés inachevés. L’œuvre fut créée à Dresde le 4 décembre 1845 par Clara, la femme du compositeur, au piano, et Ferdinand Hiller, dédicataire de la pièce ; puis reprise à Leipzig, le 1er janvier 1846, sous la direction de Felix Mendelssohn. » Cette composition tout intérieure est, selon la propre expression de Schumann, « quelque chose entre le concerto, la symphonie et la grande sonate. »

Dans la notice de wikipédia il est précisé que « les deux derniers mouvements s’enchaînent sans interruption. Le thème initial du premier mouvement, que l’on retrouve à la fin du deuxième mouvement, s’inspire d’un des thèmes principaux du Vaisseau fantôme de Richard Wagner. » Mais aucune mention d’un lien entre Bésame mucho et l’œuvre de Schumann alors qu’on entend très nettement le thème du Concerto dans son Intermezzo : Andantino grazioso.

Ernesto Acher, compositeur, multi-instrumentiste, acteur et chef d’orchestre argentin, dirige Bésame Schumann afin de faire entendre le lien entre les deux oeuvres, sans pour autant en expliquer l’origine.

Bésame Mucho (« embrasse-moi fort ») est un boléro composé en 1941 par la pianiste et compositrice mexicaine Consuelo Velázquez.

Enregistré d’abord par l’acteur mexicain Emilio Tuero, il fut adapté dès 1944 en anglais par le chanteur et pianiste américain Nat King Cole.




À partir de ce moment cette chanson fut interprétée par des centaines d’artistes dans le monde entier, comme The Beatles, Sammy Davis Jr., Plácido Domingo, José Carreras, Frank Sinatra, Dalida, Christophe, Cesaria Evora, Caetano Veloso, João Gilberto, devenant ainsi l’une des chansons les plus reprises du XXe siècle.

Ce que l’on sait moins c’est que Consuelo Velázquez a composé Bésame Mucho lorsqu’elle avait 17 ans, d’après une aria d’Enrique Granados y Campiña (Enric en catalan), compositeur et pianiste espagnol né le 27 juillet 1867, à Lérida et décédé le 24 mars 1916, en mer.

Enrique Granados

Goyescas est un opéra en un acte et trois tableaux d’Enrique Granados, sur un livret de Fernando Periquet y Zuaznabar, inspiré de peintures de Francisco de Goya et de la suite pour piano éponyme du même Granados, créé au Metropolitan Opera ("Met") de New York en 1916.

L’opéra, achevé en 1915, aurait dû être présenté en avant-première à l’Opéra Garnier à Paris mais la Première Guerre mondiale vient mettre fin aux espérances du compositeur espagnol. La création déménage à New York pour y voir le jour en 1916, en présence du compositeur. Les représentations sont un succès, mais son triomphe est de courte durée. Le 24 mars 1916, Enrique Granados embarque avec sa femme à bord du Sussex, qui fait la liaison de Londres-Paris. Il écrit :

« Enfin, j’ai vu mon rêve réalisé... Il est vrai que ma tête est pleine de cheveux blancs, et que je commence à peine mon œuvre, mais j’ai confiance et je travaille avec enthousiasme... Toute ma joie actuelle, je la ressens plus pour ce qui doit venir que pour ce que j’ai fait jusqu’ici. Je songe à Paris et je nourris un monde de projets. »

La coupure de l’avant du Sussex : vue prise après l’échouage dans le petit port de Boulogne-sur-Mer (L’Illustration)

Le navire Sussex est torpillé par un sous-marin allemand. Granados réussit à rejoindre un canot de sauvetage mais, apercevant sa femme qui se noie, il saute à nouveau à la mer pour la secourir et périt avec elle.




Granados : Goyescas (IV. Quejas o La maja y el ruisenor), par Jean-François Heisser.

Dessin de Goya

Pour le fameux aria-rossignol, Granados avait cherché l’inspiration dans sa propre œuvre, à savoir La jeune fille au rossignol, un morceau pour piano qu’il avait composé en 1911. Mais il fallait chercher loin pour y trouver le thème de Bésamo mucho.




Granados : Goyescas (Tableau III. Scène 8 : La Femme et le rossignol (La Maja y el Ruiseñor) - Rosario), par Olivia de Los Angeles.

Enrique Granados fut moins influencé par le folklore de son pays, contrairement à Manuel de Falla ou Isaac Albéniz, mais davantage intéressé par la musique savante qui l’avait précédé. Il est célèbre pour ses pièces pour piano, imprégnés du romantisme de Robert Schumann, Frédéric Chopin ou Franz Liszt.


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