La forme détournée de l’abécédaire est un genre voué à la célébration de l’acte créateur (le livre des livres). Cette année j’ai décidé d’aborder l’abécédaire par la vidéo. Deux fois par mois, je diffuserai sur mon site, un montage d’extraits de films (à partir d’une sélection d’une centaine de mes films préférés : fiction, documentaire, art vidéo) assemblés autour d’un thème. Ces films d’une quinzaine de minutes seront accompagnés sur le site par l’écriture d’un texte de fiction.
Ce projet est un dispositif à double entrée : un livre et un film. Le film est un livre. Le livre est un film. Ce livre dit qu’il est à voir, ce film montre qu’il est à lire.
P comme Paysage : la vidéo
Ce qui se voit
L’apaisement qui suit l’acceptation du départ de l’être aimé est de courte durée. Je ne pouvais pas la retenir, je le sais, je n’étais pas prêt. Je ne la comprenais pas. J’avais l’impression que c’était contre moi, qu’elle me quittait pour me faire souffrir. Elle ne pouvait plus vivre à Paris mais je pouvais encore vivre à ses côtés à Marseille, il fallait que j’accepte de déménager avec elle et non que je la laisse partir comme je l’ai fait. Mais je ne le comprenais pas encore.
La nuit je tends les bras, il n’y a plus personne dans le lit à mes côtés. Son retour sublimé sous forme de souvenirs amers me mine jour après jour un peu plus. Certaines fois, avant l’arrivée d’Iris, je regardais les pièces vides de mon appartement dans lequel j’errais le soir en rentrant épuisé du travail, depuis le départ de ma femme et de ma fille, c’était à notre relation que ce vide me renvoyait inexorablement. Ce manque, comme on voudra. Ma fille me manque en effet. Les jeux avec elle, l’odeur tiède et douce de son cou quand il fait chaud, les questions qu’elle ne cesse de poser à tout moment, son sourire lorsqu’elle a fait une bêtise pour chercher à m’amadouer, pour que je ne la gronde pas, son air mélancolique quand elle est fatiguée, sa manière de danser, son sérieux et sa beauté, ses rires et ses danses.
Les premiers temps, je n’acceptais pas son départ, je m’y étais opposé si longtemps, le moment venu, comment faire machine arrière ? Je m’entêtais, je m’énervais. Aveu d’impuissance que je ne parvenais pas à contrôler. J’aurai dû les suivre, aller vivre à Marseille moi aussi, mais je ne voulais pas l’admettre, je vivais ce retour comme un échec. Je me sentais abandonné, mais en fait c’est moi qui les fuyait, les laissait partir sans ne rien faire que tenter de les retenir. Pourquoi voulais-je tant rester à Paris ? Qu’est-ce que je refusais de retrouver à Marseille ?
Les premiers remords commençaient à m’envahir. La présence d’Iris les ravivaient mais sans elle je ne l’aurais sans doute jamais admis. Je m’étais enfermé dans mes habitudes et mes certitudes.
Pourquoi rester à Marseille ou partir vivre à Paris ? J’ai l’impression d’avoir toujours vécu en ville et d’opposer sans réfléchir la ville à la campagne, mais il y a des villes à la campagne, et ce qui compte au fond, plutôt que cette vaine opposition ville ou campagne, c’est le paysage. Un paysage, c’est quoi ? Dès fois je me le demande.
une route de campagne en gravier bordée de larges platanes
un petit lac de haute montagne
l’abri d’un arrêt de car en rase campagne à la peinture défraîchie, les murs recouverts d’affiches colorées
les guirlandes lumineuses des décorations de Noël encore visibles plusieurs mois après la fin de l’année
un port de pêche minuscule
l’agitation d’une gare à l’heure de pointe
les éclairs illuminant la mer par à-coups éblouissants
la foule des passants qui se croisent sur les trottoirs d’un carrefour
une plage au coucher de soleil, la silhouette d’un couple de promeneurs se découpant à l’horizon
un champ de blé juste avant la moisson traversé par un chemin d’herbes folles
les trottoirs et les rues de la ville livrés aux travaux estivaux, ouverts, éventrés, laissant apparaître les couches successives de bitume, pavés, sable et terre pour faire passer une conduite de gaz ou des câbles et des fils électriques
Lorsque je pense aux lieux où j’ai vécu, que j’ai traversés, c’est d’abord des images qui me reviennent en tête, des histoires. Et ces images, ces histoires ne sont pas liées à un seul lieu, mais elles forment un paysage potentiel, idéal, un lieu où vivre, sur une carte imaginaire. Chaque lieu est un récit, une multiplicité de points de vue. Une mémoire en profondeur. Il ne s’inscrit pas de toutes façons dans la même logique que celle de la carte, il est singulier, particulier, personnel, il fait appel au temps et à la mémoire.
L’arrivée en avion, la même impression à chaque fois, les nuages dissimulaient timidement, derrière leurs voiles de fin tissu troués, des morceaux du paysage, quadrillage des rues, des maisons de la banlieue, je m’accrochais aux détails, à cette proximité rassurante : nous arrivions, nous n’allions plus tarder à atterrir.
La ville basse et la ville haute, rien ne semblait relier ces deux parties de la ville à cet endroit, en contournant le promontoire on y accédait en voiture, la pente était douce aux voitures, mais ici les parois de pierres étaient droites, abruptes et semblaient découpées à même la roche comme des falaises, on se demandait parfois comment passer d’un côté à l’autre, les escaliers étaient cachés, sordides, compissés, odeur insoutenable avec la chaleur qui régnait en ville la plupart du temps, ils menaient au Panier, escalier sombre, humide, un coupe-gorge, pénible, des tags recouvraient l’ensemble des marches ainsi que la meulière des parois sombres et sales, tags illisibles, qui exprimaient une rage sourde ne parvenant pas à se développer en une forme artistique, prospectus publicitaires et journaux gratuits jonchaient le sol, virant patte à papier sous l’humidité ou s’envolant en cercle infini, tournoyant sur eux-mêmes quand le temps était sec et venteux, abandonnés là, dans ce recoin, lui-même abandonné, personne pour regarder, pour surveiller, pour faire attention, tout le monde s’en foutait, lieu de passage, passons, dont on se passerait bien, de loin l’église à l’opposé nous observait en silence au-dessus de la ville, avec une forme de mépris, de distance ou d’oubli, ça ne compte plus depuis longtemps.
J’ouvrais la porte en bois lentement, elle était lourde il fallait insister, y mettre son poids pour contrebalancer, dans le bruit des lourds battants en bois, la lumière qui nous éblouissait, nous aveuglait, un temps était nécessaire pour appréhender l’espace autour de nous, que nous connaissions pourtant parfaitement, le paysage qui s’offrait à nous, changeait selon la luminosité.
La terre ravinée violemment par une pluie battante, exténuante, soudaine, que j’observais à l’abri comme un paysage de rêve, la matière d’une peinture dont je m’étais rapproché de trop près et qui m’offrait d’autres paysages dans le paysage, points de fuite et perspectives inédites, insolites, des coins secrets où se perdre.
La rue d’Alsace longe les voies de la gare de l’Est, légèrement en surplomb, derrière le lourd parapet l’impression d’embrasser du regard tous les trains, tous les départs, une invitation au voyage, pourtant de ce point de vue aucun train n’est visible, les voies cachées par la toiture métallique qui protège chaque quai et évite aux voyageurs d’être trempés lorsqu’il pleut, les appels sonores de la gare en contrebas parviennent jusqu’à nous atténués par la distance et la hauteur, l’horizon se dégage, quelques cafés miteux aux pieds d’un mur d’immeubles qui paraissent plus beaux de l’autre côté des voies, car ils forment un impressionnant panorama, ici pas de touristes, les habitués du coin, les parieurs enfumés du PMU, les dealers de la rue, une majorité d’africains dans le quartier qui discutent le long du parapet, leurs voix résonnent dans l’acoustique particulière de la rue, les murs des immeubles font chambre d’écho, la ville en dehors de ses principaux axes de circulation est une ville entre parenthèse, l’escalier tout au bout mène par larges circonvolutions désuètes avec ses marches très étroites et glissantes, tant de fois photographie, filmé, le souvenir de la scène du film où Alain Delon saute de l’escalier pour gagner du temps sur ses poursuivants et les semer sur les quais de la Gare de l’Est en contrebas.
Au-dessus de notre tête, la frondaison frétillante des arbres, leurs feuilles qui scintillaient et miroitaient, nous protégeant du ciel, de sa trop grande luminosité, le temps passait et la route défilait lentement, comme un tissu qui vole au vent et que plus rien ne semble retenir.
Débarcadère des bateaux en partance pour l’Algérie, la plupart des docks fermés depuis longtemps, transformés en vaste complexe commercial, aseptisé, climatisé, ville dans la ville, l’évasion n’est plus ce qu’elle était, les plots de béton rouge et banc en guirlande, peinture usée par le vent, rongé par le sel marin, les grillages interdisent l’accès aux curieux et aux voyageurs clandestins, les barrières sont des frontières, elles se dressent pour délimiter l’espace, le contraindre, l’épaisse fumée en colonne noire du bateau toujours sur le qui vive, même s’il ne semblait jamais quitter le quai, larguer les amarres, il faisait partie du décor, l’horizon comme point de départ, le bruit de la vibration des moteurs et l’odeur écœurante du fuel, la pollution de la mer à cet endroit, tous les détritus s’accumulaient au bord du quai, à cet endroit, je ne pouvais m’empêcher de penser à mon père pied-noir lorsqu’il était rentré d’Algérie en 62, c’était là sur ce quai qu’il avait accosté.
Des vêtements posés sur le rocher, personne à l’eau, le large à perte de vue, l’horizon nous appelait, les vagues et leur sursaut nous cachaient sans doute les baigneurs, ce vide inquiétait un peu, ce mouvement aussi et le choc sonore de l’eau contre les rochers. Il ne restait bien souvent que ces vêtements abandonnés sur la roche, comme certains jours sur les bancs d’un jardin public.
En retrait de la maison de campagne, à l’écart des autres, dans l’intimité du jardin, protégés par le tronc des arbres et l’ombre de leurs feuilles, chuchoter pour ne pas être entendu, pour partager un secret, une déclaration d’amour, et les feuilles dans le vent nous couvraient de leur chant chaloupé. Comme je suis heureuse ! La nuit était tombée, mais la lumière de la lune baignait l’atmosphère d’une étrange luminosité argentée. Tu es dans mes pensées et toi dans mes rêves.
Les pavés disparates du Père-Lachaise sont disjoints, on ne peut pas marcher dans les allées du cimetière sans vérifier où l’on met les pieds au risque de trébucher, mine de rien cette contrainte nous empêche de flâner en regardant librement le paysage des pierres tombales, des mausolées, le parcours est sans cesse interrompu par un coup d’œil au sol pour vérifier sa stabilité, sa tenue, on a vite fait de se tordre la cheville, les pavés sont si anciens, les racines des arbres modifient régulièrement la forme du sol, ils imitent les pierres tombales qui elles aussi ne sont pas droites, il n’est pas rare de voir deux tombent se toucher, des trous apparaissent régulièrement, des arbres qui tombent, leurs branches trop lourdes et c’est tout qui s’écroule, ce qui donne au lieu son charme comme ces cimetières juifs où la végétation pousse en liberté, et comment ne pas penser en parcourant les allées du cimetière à ce passage de La Recherche du temps perdu : « et je reculai assez pour buter malgré moi contre les pavés assez mal équarris derrière lesquels était une remise. Mais au moment où, me remettant d’aplomb, je posai mon pied sur un pavé qui était un peu moins élevé que le précédent, tout mon découragement s’évanouit devant la même félicité qu’à diverses époques de ma vie m’avaient donnée la vue d’arbres que j’avais cru reconnaître dans une promenade en voiture autour de Balbec, la vue des clochers de Martinville, la saveur d’une madeleine trempée dans une infusion, tant d’autres sensations dont j’ai parlé et que les dernières œuvres de Vinteuil m’avaient paru synthétiser. Comme au moment où je goûtais la madeleine, toute inquiétude sur l’avenir, tout doute intellectuel étaient dissipés. »
Traversée nocturne en voiture la musique à fond dans l’habitacle du véhicule, le regard à la fois distrait et fureteur, à l’affût des signes et des sons. Les lumières de la ville scintillent au milieu de la nuit. Les feux de signalisation clignotent. Un signe lointain. Sans les silhouettes fuyantes qui disparaissent comme aspirées par la pénombre d’un coin de rue, la ville pourrait paraître déserte, calme et silencieuse. Pourtant sur le seuil de certaines portes il y a des hommes, certains discutent, d’autres marchandent et trafiquent. Le ton monte. La tension est palpable. La voiture déjà loin de là. La nuit n’existe pas en ville. La voiture traverse la ville comme une pensée distraite, une flèche sans but. Un projectile invincible.
En bas, il y a la mer ; en face, la ligne d’horizon. La corniche Kennedy est une mince langue de pierre qui surplombe l’eau, longe la mer, de la plage des Catalans jusqu’au Prado, une vue spectaculaire sur la baie de Marseille et ses îles, deux trottoirs séparés par un banc continu, le plus long banc du monde. Le béton, exposé à l’environnement marin particulièrement agressif, s’effrite et se désagrège lentement, laissant affleurer le spectre des armatures, le soleil dans la figure et la vision panoramique qui nous offrait le monde, les encorbellements surplombant la mer, silhouettes adolescentes, radieuses et vulnérables, en équilibre fragile au-dessus de l’eau, du vide, leur saut sibyllin, tel un rituel initiatique, une cérémonie secrète, sa sensualité, ses élans, aspiration à la liberté et à la lumière, pas une chute mais une conquête, dans le temps présent, cristallisant tous les vertiges.
Longtemps j’ai détruit mes refuges. La fuite des ombres et des lumières. Le jeu est fini, le monde n’a pas bougé et je n’ai pas changé non plus. L’indifférence ne m’a pas rendu différent. Je suis resté le même. Le temps, qui veille à tout, m’a donné la solution malgré moi.
Le temps, qui connaît la réponse, a continué de couler.
Jardin à l’anglaise à la scénographie irrégulière, le premier jardin public pour « amener la France et l’Empire aux Parisiens sans se déplacer », un incroyable parc paysager, toute la zone rendue inconstructible par l’exploitation d’une carrière de gypse, la colline du Mont Chauve découpée en buttes et façonnée de rochers, falaises, torrents, cascades, grotte, alpages, île, piton, arche, emprunter des petits chemins de « montagne » longés par des ruisseaux et des balustrades en rocaillage, technique décorative très en vogue à l’époque, toute la scénographie du parc est réfléchie pour donner à voir, pour lnous offrir les meilleurs points de vue sur la ville, un panorama exceptionnel, un jardin escarpé paysager irrégulier représentant une juxtaposition de tableaux, d’effets de surprise, de perspectives et de chemins aux courbes harmonieuses, la roche mère de la falaise naturelle affleure, avec ses strates régulières de gypse, visibles sur la gauche, qui se sont empilées au rythme géologique des transgressions et régressions marines, laissant des dépôts de sédiments marins s’amonceler, sur la droite, du béton a été injecté pour renforcer et colmater les fissures de l’île.
Je vois un paysage nouveau pour moi, mais il est nouveau pour moi parce que je le compare en pensées à un autre paysage, ancien celui-là, que je connaissais.
Je voudrais juste finir par trouver le bonheur.
les herbes folles courant le long d’une route de campagne déserte
une usine abandonnée en friche, carreaux cassés, quelques tags réalisés à la hâte sur la façade, c’est le début de la fin
une grande maison inhabitée au bord de la Seine
une chaise pliante dans la rue devant la porte d’entrée d’une maison, le propriétaire y vient prendre le frais chaque jour
le reflet translucide d’un double lampadaire sur un mur en crépis orange
les maisons de pierre aux toits de tuiles, persiennes closes, les jours de canicule
les vignes suspendues sur les contreforts d’une vallée encaissée
un passage couvert avec sa verrière et cette lumière si particulière le jour comme la nuit
un canal bordé d’arbres
un escalier recouvert de feuilles jaunies par l’automne au point d’en faire disparaître les marches en ciment
un empilement de chaises de bistrot aux formes et aux couleurs disparates, protégées du vol par un épais cadenas
un petit matin d’automne, derrière une forêt
une mer calme
les cris des oiseaux qui se transforment aux feux des carrefours en mélodie pour faire traverser les aveugles
Papillon qui s’envole, tache qui sèche, tête de girafe au long cou tacheté, caravane qui passe, étoile de mer, contours imprécis d’un pays où je ne me suis jamais rendu, silhouette d’une très belle femme, couple qui s’embrasse, fleur de lys, livre ouvert, grenouille éventrée, vol d’hirondelles, cerf-volant tournoyant dans le ciel, dans le jeu, l’écart qui s’insinue entre les arbres du boulevard en contrebas et leur ombre portée, dans le mouvement chatoyant des feuilles qui se balancent et leur projection sur la paroi immaculée de la coupole que je contemple chaque jour depuis la fenêtre de mon bureau, sur la surface arrondie comme un œuf, blanche, parfois aveuglante sous le soleil estival. Décrire la paroi c’est se focaliser sur l’écran qu’elle dresse entre notre regard et notre point de vue, et tout ce qui, dans la perspective se juxtapose, de manière illusoire, comme dans ces vues d’optiques, images souvent coloriées à la main et destinées à être regardées à travers une boîte d’optique qui en accentue l’effet de profondeur. Chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque seconde, différente. L’arrondie de la surface de la coupole, sa blancheur préservée, inédite, été comme hiver, me renvoie en miroir à ma propre inconstance, me révèle vacillant, velléitaire. Matière réfléchissante, parfois aveuglante qui découpe au cuter les ombres des arbres plantés sur le boulevard, en décuple les contours accidentés. Le soleil tourne, dans la lumière changeante, selon l’heure et les saisons, des éclats lumineux se réfléchissent sur les immeubles voisins, se diffractent ou s’évasent sur la façade du bâtiment recouverte d’un mur rideau ondulant comme une vague. Ce qui se cache là-dessous, ce qu’accueille la coupole, qu’on ne voit pas à distance, caché, à l’abri des regards, qu’on devine ou dont on se souvient, ce sont les lignes épurées aux courbes élégantes, la moquette vert tendre, les fauteuils en cuir confortables, le mur en béton brut dans lequel le bois des nervures des planches choisies par les ouvriers a laissé sa trace unique, sa signature comme les marques lapidaires des tâcherons sur les édifices du Moyen Âge. Les milliers de petites lamelles métalliques blanches dissimulent au plafond les néons qui tapissent l’espace d’une lumière douce, sans ombre, traitées par électrolyse pour ne pas avoir à les dépoussiérer manuellement. Et quand on allume la salle du conseil, les néons se mettent à clignoter de manière asynchrone, cela ne dure quelques instants mais c’est si beau, que ce chant nous rappelle le pépiement des oiseaux à la campagne lorsque le jour se lève. Et c’est ainsi que cette paroi, rigide, opaque, qui protège l’auditorium en dessous et valorise ce lieu et sa puissance d’attraction, nous laisse parfois entrapercevoir à travers les couches superposées des arbres, et de leurs feuilles l’été ou de leurs troncs tortueux l’hiver qui brouillent notre vue, des oiseaux de passage comme la silhouette fuyante de passants qui troublent en oblitérant le paysage, l’apparence d’un écran où soudain tout devient possible. Flamme effilée qui s’effiloche au feu, diable sortie de sa boite, cheval qui se cabre devant un danger imprévu, main à laquelle il manque un doigt, nuage qui se dissipe dans le ciel du matin, sourire à peine esquissé, Gitane qui danse un flamenco, chien qui aboie.
C’est un jour comme celui-ci, un peu plus tard, un peu plus tôt, que tout recommence, que tout commence, que tout continue, que je décide que je vais partir à mon tour. Je vais les rejoindre, les retrouver. Il faut que je cesse de parler comme un homme qui rêve.