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Il avait tellement d’imagination qu’il n’avait pas besoin de l’avoir pour avoir peur de la perdre

Un roman d’amour, un roman d’amour impossible. Une rencontre qui n’a pas lieu. Une rencontre virtuelle. Une rencontre sur Facebook « même si par la suite elle donne lieu à un vrai rendez-vous des corps dans un vrai décor, ça n’est quand même pas une rencontre. »

Corps à distance derrière l’écran de l’ordinateur qui efface le souvenir précis de la rencontre, car sans vis-à-vis, sans contact direct, sans relation corporelle dans un même espace, il n’y a pas de rencontre possible, au profit d’une mise en relation par le biais d’un vague ami commun.

Puis vient le premier message. Banalités d’usage. Il est écrivain, il s’appelle Herbert, il lui transmet des liens vers son travail. Elle répond aimablement à son envoi et dans son message un mot déclenche tout : attirant. Elle le trouve attirant.

« Il y avait une sorte d’accélération du temps dont jamais jusque-là il n’avait fait l’expérience, ou alors il y a longtemps. Le temps ne se suivait plus, il s’empilait devant lui. L’ordre chronologique déjà lui échappait avant même de s’effacer de sa mémoire. Ne lui parlait-elle pas de vie commune alors qu’ils se vouvoyaient encore ?
Car ils se voyaient encore. Lui-même, toujours sur la réserve, plus de caractère que de volonté, avait laissé s’installer cette habitude ; et puis il trouvait charmant qu’une fille qui lui montrait ses seins n’osât pas le tutoyer — charmant comme un subjonctif imparfait dans un roman sur Facebook. »

Leur relation virtuelle (discuter en ligne, s’envoyer des messages, des photos et des vidéos), ne dure finalement que quelques semaines. Très vite, la difficulté de concilier une double vie (celle des échanges sur Internet, ou au téléphone, par SMS, tchat ou conversations de vive voix) et la vie familiale (au moment des vacances notamment), se révèle plus compliqué que prévu. Face à la perspective de « vivre ensemble » dans la vraie vie et non « IRL, in real life. IRL, ça sonne comme irréel, pourtant. La vraie vie est irréelle. »

Cette fille lui plaît, elle l’attire, il a envie de coucher avec elle, mais pas seulement.

« Elle avait les mots elle aussi, pour dire le plaisir qu’elle avait à le voir se caresser pour elle, et jouir, et éjaculer. Ça l’excitait, elle le disait en toute simplicité, comme tout ce qu’elle disait ; il suffisait qu’elle le dise pour qu’il sache que c’était vrai ; le sexe d’un homme en érection, et du coup cette sève qui giclait, ça la fascinait. »

Leurs longs échanges érotiques à huit cents kilomètres de distance les réjouissent dans un premier temps avant de finir par les frustrer.

Le tchat qui au début de leur histoire, leur avait permis de lever certaines inhibitions, de précipiter une relation à ses prémices, d’accélérer leur relation, devenait tout à coup, avec la distance (la distance du virtuel et de ses outils renforcée par la distance physique, géographique, corporelle) : « une invention du diable. Un truc qui ressemble à une conversation et qui n’en est pas une. »

« Il avait tellement d’imagination qu’il n’avait pas besoin de l’avoir pour avoir peur de la perdre. » C’est par ces mots que débute d’ailleurs le roman. Cette phrase liminaire est en réalité un statut posté sur Facebook par l’auteur fictif.

L’univers parallèle des réseaux sociaux permet la naissance d’une relation à distance, et l’éclosion d’une double vie, mais celle-ci finit par se confronter à la question de la présence.

Une passion imaginaire a les mêmes limites que le fantasme, il lui manque une dimension charnelle réciproque (la sexualité à distance est un pis-aller qui ne peut pas durer), et besoin de l’amour et du partage pour s’inscrire dans le temps du couple, dans un temps et un lieu commun. Ce n’est pas le virtuel qui remet en cause leur relation amoureuse, et cause la rupture de leur couple, mais la distance, loin des yeux loin du cœur. Quelle est cette présence qui s’affirme derrière l’écran même sans images ? Leur relation, leurs échanges, même sans corps à corps direct, ont une réalité charnelle, sensuelle. Il n’y a rien de virtuel dans cet amour. Juste deux corps tenus à distance, cherchant par tous les moyens à entrer en contact physique (hormis dans cette très belle et touchante scène où les deux amants se rencontrent enfin, ils osent à peine se toucher, ce qui est justement les trouble, les touche). Leur histoire est terminée, ils le savent, mais ils se croisent comme pour se prouver que leur amour n’avait rien de virtuel. Qu’il s’agissait d’un même élan imaginaire.

L’auteur fictif du récit décide d’écrire leur histoire, de la coucher par écrit, pour expliquer la nature de leur relation : « C’est pour, au moment de la perdre, trouver au moins les mots pour dire ce qu’il y a, ce qu’il y a eu entre eux. Pour ne pas tout perdre. » Leur amour ne se passe pas des mots. Il n’existe que par les mots échangés, les échanges attendus, les paroles fantasmées, les désirs soufflés, les mots absents et retrouvés.

Ce livre se présente donc comme la preuve de cet amour, un cadeau « mieux qu’un diamant », un présent (faute d’une présence), qui donne corps à ce couple virtuel, à leur étreinte imaginaire, un livre inspiré de leur histoire, écrit pour combler l’espace qui les sépare, par Herbert, cet être de fiction, dont Philippe Annocque nous restitue avec son écriture limpide et son humour distancié, une lecture dont il s’autorise à nous faire les témoins, nous rendant ainsi complices et partenaires, à notre tour livrés à l’amour.


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