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Une violente histoire d’amour, de désir et de mort

Sainte Rita est un roman d’Hicham Lasri, publié aux éditions Le Fennec, en 2015, une histoire d’amour, de désir et de mort, à la forme originale, d’une violente beauté.

Au Salon du livre de Casablanca, Hicham Lasri présentait son livre, interrogé par David Ruffel, avec qui l’auteur a publié son livre : « À Casablanca, au Maroc, deux jeunes femmes, Steeltoe et Rita, s’aiment malgré l’interdit. Rita sauve Steeltoe. Puis Rita disparaît, emportant avec elle tout ce qui est échevelé, moqueur, tendre. Steeltoe part à sa recherche. Rita est partie, en emportant avec elle tout ce qui est échevelé, drôle, touchant, moqueur, tendre… Rita. La partie lumineuse du dictionnaire s’est volatilisée. Sainte Rita, sainte des causes difficiles, désespérées. Rita sauve Steeltoe en lui donnant son amour, son corps, son esprit. Steeltoe aime Rita. Rita aime Steeltoe. Lumineusement, absolument. Puis Rita disparaît. Steeltoe la cherche désespérément, jusqu’au bout de la nuit. En chemin, elle croise Mikkhi, un garçon rencontré quelques jours plus tôt dans un bar. »

Séduit par la présentation très sincère et passionnée de l’auteur, le sujet surprenant de son roman sans détour, sa contemporanéité loin de tout exotisme, sa construction particulière, éclatée, sa trame narrative, son écriture électrique et polyphonique, avec une attention toute particulière portée aux sons et aux images (on ne peut oublier qu’Hicham Lasri est cinéaste), la richesse et la sensibilité à fleur de peau de ses personnages, leur parcours touchant et désespéré (« Dans l’obscurité, les choses et les êtres se dédoublent, s’étirent, ils ont aussi une propension à s’effacer et à perdre leurs détails ») et le cadre de cette histoire se déroulant à Casablanca, tout incite à lire son livre et à le faire découvrir. Pour en avoir le cœur net, après avoir entendu parler l’auteur, j’ai ouvert le livre, et ce sont les lignes ci-dessous qui m’ont confirmé qu’Hicham Lasri est bel et bien un écrivain, avec un style rythmé, musical, et un point de vue personnel sur le monde :

« Rita. Ce n’est pas rien. Rita. Ce n’est pas une absence. Rita. L’esprit qui s’en va d’un battement d’ailes et s’en revient. Rita. Un peu plus lasse. Rita. Un peu moins là. Rita. Et puis de moins en moins ici. Rita n’est plus là. Le temps et l’espace se sont résorbés sur elle. La brise a emportée les dernières bribes de sa chaleur. Rita. C’est l’extinction qui s’approche comme la fin du jour, en étirant des ombres toujours plus longues, que Steeltoe enjambe en cheminant vers la fac. Le soleil pouffe à travers les arbres qui se détournent sur son passage. Parce qu’il y a des gueules stupéfiantes dont on lit à travers chaque pore la violence vécue, Steeltoe effraie les gens. Rita. Elle aborde les étudiantes. Elle pose des questions. Rita. En offrandes, on lui jette au visage des récits brefs, disposés en écho, où les mêmes figurants s’échangent les rôles, apportant un éclairage nouveau, une tonalité différente. Rita. Un troublant arrière-fond névrotique. Un bloc de granit qui se fissure. Rita est partie, en emportant avec elle tout ce qui est échevelée, drôle, touchant, moqueur, tendre... Rita. La partie lumineuse du dictionnaire s’est volatilisée. Rita. Sacrificiel. Rita. Elle lève la tête vers le ciel pour repousser ses larmes vers les glandes lacrymales. Elle s’arrête pour broyer des cendres. Une ombre s’approche. Rita. »

Un récit monté et découpé avec une précision remarquable, qui mixe les langages, les sons et les images en montage parallèle : discours et slogans politiques d’Hassan II dont Rita étudie les discours [1], messages téléphoniques, appels à la prière, extraits de vidéos pornos sur YouTube, de jeux vidéo, match de foot à la télévision, sourates du Coran, chansons pop comme Lovely Rita des Beatles, bruits et silences de la ville…

« C’est l’histoire de la violence urbaine de Casablanca dans une époque où la transparence des écrans mène le jeu, écrit très justement Géraldine Dulat. »

« Ce n’est pas qu’elle ait envie de s’arracher la tête et son cœur serait une bonne chose, à ce moment là de sa vie.

Rita essaie de lui expliquer. Steeltoe ne voit plus rien. Absence. Quand elle ouvre les yeux, la maison est en ruines. Rita est en larmes. Le muezzin fait la bande sonore. »
Hicham Lasri est cinéaste et écrivain. Il a publié deux pièces de théâtre, (K)Rêve (Grand Prix de l’union des écrivains du Maroc, 2005) et Larmes de joie un jour de Zemzem (Éditions de La Gare, 2008) et un roman de science-fiction, STATIC (Éditions La Croisée des Chemins, 2010). Il est l’auteur de trois longs-métrages, The End (2012), C’est eux les chiens (2013) et The Sea is Behind (2015).

« Sous l’effet d’un acouphène émotionnel, les bruits de la ville se résorbent et disparaissent. Les gens ne sont plus que des spectres emportés par le vent. »

Ce livre troublant ressemble à la ville qu’il décrit en creux, Casablanca que l’on découvre à travers les trajectoires de ces personnages en quête d’amour, de compréhension, et de sens : « La ville est un bourbier. Tout le monde semble fuir une déflagration ou être debout sur une mine antipersonnelle. Un bourbier ou un jeu vidéo. »

Un grand livre.

[1« Elle relit encore les discours de Hassan II. Elle ne trouve aucun angle. Aucune brèche. Comment décrire l’évolution d’une pensée quand le jeu consiste à ne jamais parler d’autre chose que de soi ? Le prisme devient l’objet... »


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