Guy Bennett est écrivain et traducteur. Il vit à Los Angeles, où il enseigne au Otis College of Art and Design. En exergue est son cinquième livre édité en France. Il a publié ses précédents textes aux Éditions de l’Attente. L’auteur explore les limites du territoire poétique, et par extension, littéraire. Une critique du livre, de la représentation et de la production du livre, approche impliquant nécessairement la création d’un nouveau type de livre centré sur la marge.
Dans En exergue, paru aux éditions Lanskine, Guy Bennett propose une compilation d’épigraphes appariées et de gloses qui les commentent. Ces épigraphes abordent le thème de la création littéraire et artistique. Les relations complexes entre écriture, lecture, perception, et la subjectivité inhérente à ces processus. Il examine des paradoxes et des contradictions apparentes dans les propos cités, soulignant l’importance de la perception personnelle et remettant en question les notions d’originalité et d’objectivité.
L’auteur joue avec les citations (de différents auteurs, d‘époques variées, de natures contrastées). Son texte se développe au rythme des nombreuses questions posées à partir de ces citations qu’il tente de résoudre, soit par des citations, soit par des commentaires émaillés d’autres citations.
« Lecteur, je t’invite à faire la lecture de l’écriture
de ma lecture de ce que j’écris.
–- LAURE LIMONGI
Écrire, c’est peut-être se lire en dedans.
–- EVE SAUZE-CHAPEL
Ces affirmations poussent plus loin la conjonction écriture-lecture : écrire, c’est lire, qu’il s’agisse de se lire soi-même ou de lire ce qu’on écrit. Limongi suggère que le produit graphique du processus d’écriture est lui-même la lecture d’une autre écriture, latente ou intérieure peut-être, qui ne s’est pas encore exprimée, qu’on découvre ou « lit » en écrivant, et que dévoilerait l’écrit ainsi produit (comme Philippe Annocque l’a remarqué, « Écrire, c’est lire avant même que ce soit écrit »). Cette écriture non écrite correspondrait peut-être à celle que Duras prétend qu’on élaborerait si on écrivait, en cela qu’elle semble antérieure à l’écriture qu’on peut faire ou qu’on fait afin de la rendre manifeste. Selon Sauze-Chapel, cette écriture antérieure coïnciderait peut-être avec le moi (comme si le moi était un texte écrit dévoilé pendant que nous le lisions en l’écrivant (ou, s’il ne s’agit pas d’un texte écrit, quelque chose qui peut se traduire en écriture)). »
Dans ses précédents textes, Guy Bennett explorait déjà le cut up et la citation, et d’une manière générale le paratexte, transformant ces scories littéraires comme il les nomme « en des formes scriptibles et des genres littéraires à part entière, désormais capables de se suffire à eux-mêmes. »
Le texte est teinté d’un humour subtil. Et c’est cette forme d’ironie distanciée qui crée l’unité de cet ensemble disparate de citations avec des points de vue à la fois opposés mais très proches dans leurs thématiques, dont l’auteur ne cesse de souligner l’antinomie jusqu’à l’absurde.
Guy Bennet convoque notamment des critiques de la citation dans son ouvrage sur la création à partir de citations. Ainsi la citation de Cioran « Se méfier des penseurs dont l’esprit ne fonctionne qu’à partir d’une citation » agit à la fois comme critique et fondation de ce projet.
« L’originalité, c’est l’art de camoufler sa source.
–- FRANKLIN P. JONES
J’aime tellement l’originalité
que je n’arrête pas de la copier.
— CHARLES BERNSTEIN
Malgré la croyance populaire (à savoir, que l’originalité est « originale »), il est difficile d’imaginer un art qui ne consomme pas ses propres conventions et produits / qui n’adule pas ses propres lumières et sommités. Un tel art existe-t-il ? Un art qui serait entièrement original ?
Cela dépendrait je suppose du sens que nous donnons à ce mot. Si c’est l’originalité du jamais vu / fait avant, mot d’ordre du modernisme (« Faire nouveau ! » – Ezra Pound) et pierre philosophale de l’avant-garde (« Pas de poésie avant nous » – F.T. Marinetti), alors la réponse est non, puisqu’elle est inévitablement imbue de la tradition contre laquelle elle s’érige.
S’il s’agit de cette originalité qui de façon explicite incorpore (« Ces vieux gars ont piqué certaines de nos plus belles idées. » – Frederic Goudy), recycle (« Imaginez ce qu’on peut faire avec le déjà fait. » – Rick Prelinger), et réinvente (« J’ai trouvé de nouvelles façons de dire la même chose. » – David Thomas), une post-originalité si vous voulez, la réponse est pas vraiment, puisque qu’elle n’est pas très originale non plus. C’est que le postmodernisme – matrice du
post-original – appartient déjà au passé.
Comme nous vivons et créons à l’ère après-post, comme Josefina Ludmer l’a finement nommée, il faudrait tâcher de définir la conception de l’originalité qui s’y associe, s’il y en a une, pour savoir où nous en sommes avec cette notion problématique, pour en dire le moins. Et je dis « s’il y en a une » car, selon Ludmer, le propre des écritures de cette période, c’est qu’elles sont indissociables de la réalité, qui n’a que faire de l’originalité. »
Guy Bennett tisse une tapisserie intertextuelle où voix et pensées s’entrelacent en un dialogue polyphonique, affirmant que toute création repose sur un héritage préexistant. Les citations, à la fois points de départ et fragments autonomes, interrogent l’art, la vie et la création, tout en dévoilant leur duplicité hors contexte. Elles révèlent contradictions et paradoxes, éclairant la complexité des idées explorées. Cette démarche, mêlant réflexion critique et introspection, inscrit chaque citation comme une empreinte de ses influences et une étape de sa pensée, aboutissant à une méditation sur l’œuvre d’art et son lien au monde.