Dans le cadre de ma résidence d’écrivain soutenue par la Région île-de-France, j’ai décidé de mettre en place avec le soutien de Mélico, mémoire de la librairie contemporaine, une série d’entretiens avec des auteurs, des librairies, des bibliothécaires, des éditeurs, des journalistes, des professeurs, des enfants, des poètes, des blogueurs et plus globalement des lecteurs, suivie par la lecture d’une page 48 de leur livre de chevet.
Les livres que l’on achète en librairie, ceux que l’on emprunte à nos amis ou dans une bibliothèque, ce que l’on lit, quel genre de livres et où, dans quel endroit, dans quelle position, ce que lire représente pour soi et pour les autres, le souvenir de son premier livre, son livre de toujours, celui qui ne nous ne quitte pas et comment on imagine lire dans le futur.
François Bon publie en 1982 aux éditions de Minuit Sortie d’Usine. Lauréat en 1984-1985 de l’Académie de France à Rome (Villa Médicis). Commence en 1991 une recherche continue dans le domaine des ateliers d’écriture (Tous les mots sont adultes, Fayard, 2002, réed 2005). Au théâtre, Quatre avec le mort à la Comédie Française en octobre 2002 et Daewoo au festival d’Avignon en 2004 (Molière). Se consacre plusieurs années à une trilogie sur rock’n roll et histoire des années 60/70 (Rolling Stones, Bob Dylan, Led Zeppelin). Dernier livre publié : L’Incendie du Hilton, roman, Albin-Michel, sept 2009. En 2009-2010, professeur invité (création littéraire) à l’université Laval (Québec) et l’université de Montréal (Montréal). Présent sur Internet depuis 1997, fonde en 2001 remue.net, puis en 2005 tierslivre.net et en 2008 la coopérative d’édition numérique publie.net, faisant du web son lieu principal d’expression artistique.
Écoutez la pièce sonore et l’interview de François Bon diffusées en intégralité sur le site de Mélico, mémoire de la librairie contemporaine :
Premier souvenir de lecture ? Quels livres ?
Mon premier souvenir de lecture, ce n’est pas un livre, c’est un souvenir d’école maternelle, une année où j’avais ma mère comme institutrice, c’est le seul souvenir que j’ai de cette année là avec une autre chose, on nous avait emmené à la ferme d’à côté, voir tuer le cochon. Ce sont deux souvenirs qui se superposent. J’étais le seul debout, tous les autres enfants de la classe assis devant moi et fallait que je récite la fable à ma mère, donc ma mère n’était plus ma mère, je devais réciter la fable, c’était une histoire de hibou, de crapaud qui désobéissait à sa mère, c’était parfaitement symbolique tout ça. Et pour moi je crois que c’est toujours resté le premier souvenir associé à un texte littéraire, donc le dire mais là je ne comprenais plus rien, plus après toute cette fichue classe qui était autour, à cinq ans qui n’était pas tendre. Ils disaient chouchouchouchouchouchou... Sinon des souvenirs à cette époque-là après ils sont continus, c’est-à-dire les livres d’enfance, j’ai des souvenirs visuels très précis d’illustrations de livres de jeunesse et pourtant c’était fin des années 50 (je suis de 53), les seules images qui me restent de cette époque-là c’est deux gamins, évidemment garçon/fille, couchés dans l’herbe lisant eux-mêmes un livre d’images. Je ne sais pas pourquoi cette image est associée pour moi à cette période-là. Après il y a eu les Jules Verne, tous ces machins-là.
Que lis-tu aujourd’hui ? Comment lis-tu ?
On est tout près de chez Michel Chaillou, je me souviens quand j’ai publié Sortie d’usine en 82, faisant sa connaissance, ce type-là que je ne connaissais pas, même si après il y a eu une longue amitié, Michel me dit : Mais maintenant, il faut que tu lises !... Je lui dis : Mais quoi Michel ? Il m’a répondu : Tout ! Et je me souviens l’avoir vu dix ou douze ans après et je lui ai demandé s’il se souvenait m’avoir dit ça, et je lui dit : Je crois que ça y est, j’ai tout lu ! Effectivement il y eu une période qui a duré au moins dix ans où il fallait remonter. Avec Rabelais il y avait la grande cave, le grand grenier, ça y était, mais appréhender les Racine, les Bossuet, le 18ème, retraverser la correspondance de Flaubert et tout ça, là pour moi il y avait un truc systématique. La notion d’autodidacte elle n’existe pas en littérature, on a tous à faire évidemment ce chemin d’initiation, de réunion. Je crois qu’après il y a un moment donné où je rouvre Kafka et pendant trois semaine un mois Kafka va être là, quelque fois je lis dix lignes et puis ça suffit mais je ne les lis pas comme avant ces dix lignes. Tous les ans, passer quinze jours dans Balzac, on en lit tous les soirs, où lire Stendhal. cette lecture là elle est présente. Depuis deux ans la perturbation du support de lecture est quand même importante. Au Québec il y avait les livres des Québécois, par exemple Gabrielle Roy, on se retrouvait dans un schéma, je vais dans une librairie à Montréal, je reviens, je lis le livre, j’étais dans un schéma classique, mais pour ma bibliothèque elle était dans la Sony, Si je veux de Proust, du Balzac ou du Jules Verne ou du Saint-Simon, c’était tous les soirs lire avec ce petit machin de plastoc de 300 grammes. Là, j’ai retrouvé ma bibliothèque, mais le réflexe de lire sur l’iPad, quelques-fois je préfère cette aventure de lire où je suis dans un appareil qui me permet de quitter le livre, avec pour moi un axiome neuf, plus on peut quitter le livre plus on a envie d’y revenir autrement. Être dans l’iPad, même lire un Balzac, je vais avoir envie de passer voir le lieu et le lieu j’y ai accès par la connexion, je vais avoir envie d’aller voir même des noms mineurs d’auteurs ou de revues, je peux entrer dans le site de la bnf et revenir. Je crois que maintenant enfin je suis dans cette vraie expérience avec ce petit outil là. Et en même temps frustré par les contenus que je voudrais : Henri Michaux, Julien Gracq, Saint-John Perse, je ne les ai pas en numérique. En ce moment je flotte, par exemple l’idée de lire le web, c’est une idée neuve, se balader sur le web, n’importe quel clown peut faire ça... Qu’est-ce qu’on sait perdre son temps sur le web comme traîner trois heures de trop au bistrot. Lire le web souvent pour moi c’est le dimanche matin, aller voir ce qui s’est passé dans les blogs, que je n’ai pas forcément eu le temps de regarder.
Quelque part, assumer le fait qu’on soit dans la lecture comme un radeau bien secoué sur une espèce d’eau glauque dont on ne sait pas trop où elle va avec les dangers que ça représente, par contre garder une discipline, tous les soirs j’ai mes quarante minutes de Saint-Simon, c’est religieux, j’y trouve toujours mon compte, et que ce soit là dans le Sony ou en Pléiade, peu importe.