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Ateliers d’écriture à Sciences Po Paris : la ville à l’écoute n°3

Une série de douze ateliers d’écriture durant le deuxième semestre des étudiants en première année de Sciences Po, ayant pour but de procéder à l’écriture collective d’une pièce sonore sous la forme d’un récit urbain (entre audioguide, audiolivre et dérive urbaine situationniste).

Les objectifs pédagogiques et les contenus des ateliers artistiques sont définis en adéquation avec le projet éducatif de Sciences Po : développer l’imagination créative, le sens de l’observation, l’analyse critique, la capacité à s’exprimer en public et à argumenter ; l’aptitude à la prise de responsabilités et à l’autonomie, la faculté à susciter une pensée originale et décentrée et le sens du collectif.

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Ces enseignements invitent les élèves à s’interroger sur les arts en tant que moyens d’étude, d’approfondissement et de représentation des enjeux contemporains. Ils cherchent, en outre, à stimuler la sensibilité, les facultés de communication et l’acuité intellectuelle de nos étudiants, lesquels sont encouragés à libérer leur imaginaire, à explorer leurs capacités d’expression écrites, orales, sensorielles, corporelles, la connaissance d’eux-mêmes et de l’autre.

« Une ivresse s’empare de celui qui a marché longtemps sans but dans les rues. À chaque pas, la marche acquiert une force nouvelle ; les magasins, les bistrots, les femmes qui sourient ne cessent de perdre de leurs attraits et le prochain coin de rue, une masse lointaine de feuillages, un nom de rue exerce une attraction toujours plus irrésistible. Puis la faim se fait sentir. Le promeneur ne veut rien savoir de centaines d’endroits qui lui permettraient de l’assouvir. Comme un animal ascétique il rôde dans des quartiers inconnus jusqu’à ce qu’il s’effondre, totalement épuisé dans sa chambre qui l’accueille, étrangère et froide. » Walter Benjamin [1]

Le but de cet atelier est de sensibiliser les élèves à l’écriture créative et de les amener progressivement de la sensibilisation vers la création d’un texte dans sa dimension sonore. Pour cela, ils découvriront un ensemble d’auteurs contemporains utilisant le son dans leur écriture ou la diffusion de leurs textes, et ils apprendront également à créer, enregistrer et manipuler des sons, bruits de la ville ou lectures de textes écrits en cours, à élaborer le scénario d’une pièce sonore collective sous la forme d’un récit urbain (entre audioguide et dérive urbaine situationniste).

Cette troisième séance est l’occasion de poursuivre l’écriture de notre récit collectif à partir de textes d’auteurs ayant travaillé sur la ville. Aujourd’hui, c’est le travail sur la ville de Guillaume Fayard qui retient notre attention, à partir d’un livre inachevé, D’une ville d’une pièce et d’un livre publié aux éditions Le Quartanier, Sombre les détails.

D’une ville d’une pièce est un livre de Guillaume Fayard abandonné sur le chantier de Marseille République, dont on a pu lire des extraits sur Remue.net notamment. Un texte d’écoute, étendue ou réduite (Schaeffer). L’ensemble du texte est écrit tel que dit, d’une pièce littéralement - une seule longue ligne, coupée de retours-chariot et de (presque, quasi) phrases intermédiaires, trichées. Ici, entr’acte : un épisode hors de la ville, pour trouver du nouveau, sans doute.

« Et constamment heurtée, encore

en tête, ramenant au travail dans le contexte

et à l’appartement dans l’étroitesse, et la continuité vraiment, du martèlement des bruits des travaux dans la ville, ayant occasionné, sans l’ombre

d’un doute vraiment sans une ambivalence la fuite, hors de la ville pourtant toujours plus calme des dimanches

mais et, avec les anges

maintenant bien en tête prenant imperceptiblement le large

depuis l’église traversée tout à l’heure dans maintenant l’ampleur et respirante du lieu, retenue au visage dans quelque chose céleste, pétri

de cinq aux visages de religiosité presque, quasi, repeints, dans leurs presque quasi vitrails, épais, comme en un lait

et lessivés et accrochés, repeints, vraiment suspendus crochetés, presque à leurs fils, quasi, en linges

et de plomb noir pataud comme un liquide encore, épais

sucré de miel dans un anachronisme de maçonnerie médiévisante

la pierre des traits le rugueux des visages accentués, la luminosité, tranchante, et / ou diffuse suivant les angles

d’apparition du soleil dans la marche vraiment, pointant la vue, dans les façades vraiment à soudain d’éblouissement

et d’étendue, traversée de traits d’oiseaux dans le coton lâche, défait en gaze, entre deux murs

fermant la vue dans l’ouverture

entre deux maisons, de village, et dans le défilé, tranquille

et oscillant des yeux dans la ruelle, vers un peu plus bas lézardant

dans l’affection, proche la présence des corps, proches, ralentissant tranquilles paisibles, mais et, cette fois, assis

délicatement proches affalés, amis, dans un à-plat de temps et libre

à une terrasse, nourrissant des envies

toutes en extériorité caressée dans la présence

restaurant proche de volumes désirables, en leur contour, précis, appuyés au rebord

d’une table dans la proximité. »

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Ce que l’on voit, ce que l’on perçoit en marchant, dans ce mouvement ambulatoire, cette déambulation parole errante, dire le flot des passants, les mots courant sous le flux des images, la ville défile sous nos yeux par à-coups, brusques déplacements en fragments décousus, dans ce décor citadin si discontinu, petits bouts par petits bouts, c’est un détail, à partir de là une suite d’émotions, d’échos fugitifs, et de corps fuyants, une partie seulement, déjà un peu plus loin. On avance. Et dans cette avancée, ce que l’on sait d’avance, saisis d’office, dans un même temps, toujours un peu difficile de savoir ce que l’on ressent au juste, au fond, à l’intérieur tout va plus vite, pensées et situations parallèles, travelling avant et flash-back, silence on tourne, et toujours ce qui me regarde en paysages simultanés. On avance, on avance, c’est une évidence.

La ville défile : les reliefs, les surfaces, les façades, les motifs urbains, les souvenirs, les détails fugaces captés lors d’une journée de déplacements – flux de faits sensibles, d’échos divers, qui sont dans un même temps saisis et dits. La subjectivité dans la perception, en une longue suite d’instantanés « parlés » : des situations sont traversées dans un mouvement continu.

« Une prose discontinue, arrangée sur la page en presque-vers, est travaillée de reprises et de sauts logiques. Elle génère deux défilements parallèles, simultanés : celui de la pensée au sens large, et celui du dehors, des textures qui arrivent, du ruissellement de choses et de gens, qui donnent au livre sa forme turbulente et ambulatoire, sa langue micro-sismique. »

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« Kilomètres de conversation Rue fraîche Fraîche insensiblement
On entre Ça sifle un peu Beaucoup de Vert d’un parc, mais
Sombre Semelles de Circonstances Colle Bande passante vite Puces
matière pied levé, arc Le journal perd, d’articles Parsème Nous allons
rater Maculés, et
Saisies Revenir en drap, et
Assombris, là Lover imparfaitement, encore
et Écouter, ce qui Coquilles
Inquiète, rapide Toute phrase Image Alternent, visibles Trébuche Une rue cadre une Agitation sur Bande, passante
de files de voitures de bruits de passages de » Sombre les détails, Guillaume Fayard, Le Quartanier, 2005, pp.3-4.

Un extrait du livre au format pdf.

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Proposition d’écriture :

Dans le mouvement déambulatoire de la marche, décrire ce que l’on voit, ce que l’on perçoit, le flot des passants, la foule des mots courant sous le flux des images, la ville défilant sous nos yeux par à-coups, brusques déplacements en fragments décousus, dans ce décor discontinu, une suite d’émotions, d’échos fugitifs, et de corps fuyants. Et dans cette avancée, ce que l’on sait d’avance, saisis d’office, dans un même temps ce que l’on ressent, pensées et situations parallèles, ce qui me regarde en paysages simultanés.

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L’ensemble des visuels de cet atelier proviennent d’un extrait de Promenades aux phares, de Guillaume Fayard, paru sur Publie.net en 2008 dans la revue d’ici là n°1 : Nous dormons notre vie d’un sommeil sans rêves.

Textes des élèves :

[1Walter Benjamin, « Le flâneur », Paris Capitale du XIXe siècle, Paris, Cerf, 1990.


Récit sonore collectif : La ville d’une pièce

Publié le 4 février 2013
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