L’invitation au colloque international Littérature et dispositifs médiatiques : pratiques d’écriture et de lecture en contexte numérique, à l’Université du Québec à Montréal, les 25 et 26 mai 2017, est l’occasion pour moi de faire le point sur le travail des développeurs avec lesquels nous abordons la deuxième version du prototype de l’application mobile des Lignes de désir avant la résidence au 104 qui aura lieu du 6 au 18 juin et qui sera l’occasion de finaliser celle-ci, en vue du développement de la version définitive du dispositif interactif que j’espère pouvoir rendre publique en octobre prochain, à l’occasion de la Nuit blanche à Paris.
Ce colloque qui chercher à identifier l’impact des modifications des supports de l’écrit sur les pratiques littéraires, tant du point de vue de l’écriture que de la lecture, est un moment important pour prendre du recul sur le contexte numérique actuel dans lequel s’inscrit ce projet.
En effet, la question posée par ce colloque est avant tout celle des pratiques et non celle des développements technologiques. Elle entre en résonances avec la réflexion menée dans le cadre du dispositif interactif des Lignes de désir : Comment les écrivains se servent-ils des nouveaux médias et dispositifs numériques ? Comment les conduire à se servir des dispositifs numériques pour écrire, proposer des textes, les diffuser et rejoindre leurs lecteurs ? De la même façon, comment se servir des dispositifs numériques comme tremplins pour discuter de littérature, la mettre en scène et en jeu, imaginer de nouvelles formes littéraires ? Il ne suffit pas qu’il y ait des technologies pour que des pratiques naissent, il faut des milieux pour les encadrer. J’ajouterai qu’il faut également que les artistes parviennent à les dépasser.
Le programme de ces deux jours à Montréal :
Littérature et dispositifs médiatiques : pratiques d’écriture et de lecture en contexte numérique.
Présentation de mes deux interventions : Jeudi 25 mai 2017, à 14h30 :
Narrer des flux
La narration combinatoire : l’écriture en mouvement
La littérature doit sortir des limites du livre pour inventer de nouvelles formes et produire des textes qui entrent en résonance avec le monde dans lequel nous vivons.
La narration connectée c’est la façon la plus classique de raconter une histoire. Elle est prédéfinie, maîtrisée mais fermée et peu évolutive, tandis que la narration combinatoire est liée à un flux de données. Elle est vivante, ouverte et évolutive. Un parcours à travers un ensemble structuré de contenus qui se combinent dynamiquement les uns aux autres pour générer un récit inédit.
La narration combinatoire produit autant d’histoires qu’il y a de parcours, ce qui permet de faire raconter des choses différentes à un même contenu. Le lecteur y prend une place plus active, devenant co-auteur. La narration combinatoire permet la contextualisation des contenus en fonction des usages, les contenus s’adaptant à l’utilisateur et non le contraire.
Les pistes développées ici s’appuient sur le projet des Lignes de désir qui propose d’explorer un récit interactif sous forme de narration combinatoire.
Les lignes de désir est un dispositif interactif sous la forme d’une application qui permet aux utilisateurs une écoute mobile de l’histoire d’un homme qui traverse Paris à la recherche de la femme qu’il aime et qui a mystérieusement disparu, dans les lieux qu’ils fréquentaient, à travers une déambulation libre dans l’espace du récit (l’île Saint-Louis), afin d’écrire le texte en marche.
À l’issue de sa ballade chaque participant pourra éditer de manière ludique et originale, en fonction de son itinéraire et de ses mouvements (rythme des pas, sens de circulation, durée du parcours effectué), un récit poétique inédit sous la forme d’un livre audio ou celle d’un livre numérique.
Un livre devient un autre livre à chaque fois que nous le lisons. Une ville c’est pareille invention, chaque parcours la transforme. Marcher dans les rues comme entre les pages d’un livre, en garder une trace et voir, au fil du temps, se dessiner un chemin qui n’existait pas au moment de notre trajet.
Vendredi 26 mai 2017, de 16h00 à 17h30
Table ronde : Mobiliser les formes narratives
Pas de marche pas d’œuvre : espace à explorer, parcours de lecture et imaginaire mobilisé.
Dans un espace hybride où les frontières entre réel et numérique sont devenues poreuses, les œuvres d’art et de littérature numériques modifient nos structures perceptives et configurent notre sens du réel. Elles transforment sensiblement nos manières d’écrire, de lire, et changent notre rapport au monde.
L’idée de navigation appliquée à la connaissance, c’est une invitation à prendre le large. Mais ce qui compte en premier lieu ce n’est pas tant l’inventaire du savoir, c’est la marche, le mouvement de la connaissance. C’est cette même idée d’ouverture, de l’action de l’usager comme constructeur de ses propres connaissances, que l’on retrouve dans la substitution de « navigation » à « lecture » pour désigner l’exploration numérique. Mais si la navigation s’applique bien au savoir, la « déambulation » paraît plus adaptée aujourd’hui à ce qui est en jeu avec la littérature numérique qui transforme la question littéraire et la « déplace » sur des problématiques qui lui étaient traditionnellement extérieures ou marginales. Une manière d’avancer dans la lecture, de mettre le texte en marche.
La forme la plus répandue et la plus populaire du texte est le roman. Le récit interactif est éclaté, il remet en question la linéarité traditionnelle du texte. Le passage du livre à différentes formes d’interfaces numériques, offre en effet au lecteur comme à l’auteur, qui deviennent acteurs, agissants non comme des machines, mais de manière libre et autonome, d’inédites et singulières approches du récit et de lectures du monde.
Les parcours invisibles que chacun dessine quand il marche en ville, dans les paysages qu’il traverse, dans ses déplacements, ses errements comme son cheminement, s’apparentent à un labyrinthe de textes aux sentiers qui bifurquent, à l’intérieur desquels le lecteur doit s’égarer selon sa fantaisie, retourner sur ses pas, refaire le même trajet en sens inverse, en inventer d’autres parfois, pour s’approprier l’espace numérique, le parcourir plus librement et participer ainsi de façon active à une création toujours recommencée.
Il ne s’agit pas de représenter l’espace, mais de le produire en lui donnant un sens. On retrouve également ces cheminements dans la pratique artistique de la mobilité. Dans ces mouvements, les lieux se transforment, les images se succèdent. La mobilité de l’esprit qui divague en cours de route le rend apte à la réflexion, sensible à l’imaginaire et à son environnement.