Lecture vagabonde :
Dans Paris, musée du XXIe siècle : Le Dixième arrondissement, Thomas Clerc a décidé d’arpenter de long en large le Xe arrondissement de Paris à travers ses 155 rues, places, quais, squares, cités, avenues, jardins, boulevards, impasses et passages, en adoptant l’ordre arbitraire mais incontestable de l’alphabet, de la rue d’Abbeville à la cité Wauxhall. Il s’offre à la flânerie et à une lecture vagabonde, discontinue plus que linéaire de la ville. Au fil de son texte, des bornes régulières viennent interrompre le texte et proposer un point de vue différent sur la ville. Un portrait du quartier entre la confession, le rêve, l’étude ethnographique, politique, économique et, bien sûr, historique qui inclut en outre une réflexion sur la muséification de la capitale.
À Faire Sauter : Ce qu’il faut détruire, éliminer de l’espace urbain. Ambiance : Le contexte dans lequel se trouve la rue, le quartier, climat, atmosphère. Apparition : Une rencontre inopinée, une personne qu’on croise. Archive : Objet trouvé à préserver, souvenir personnel ou mémoire urbaine. Aveu : Coming out. Cartographie : Tout ce qui a un lien avec une carte, un plan ou des données topographiques. Configuration : Forme extérieure d’une rue, d’un quartier, ses dimensions, son relief, sa taille, etc., qui retient l’attention. Contact : Rencontre avec échange à la clé (ne pas confondre l’apparition qui concerne indifféremment les animaux ou les moyens de transport). Danger : Ce qui fait peur, installe dans une incertitude, un sentiment de malaise. Figure locale : Un habitant du quartier, un habitué des lieux ou un personnage historique lié à cet endroit. Incident : Événement qui survient et perturbe le déroulement du parcours. L’ignorez-vous ? : Information en tous genres sur la ville et son histoire. Mystère social : Ce qui reste incompréhensible dans la société (coutumes, langues, communication, tradition, organisation, etc.). Objet d’art involontaire : Ce qui se trouve dans la rue (abandonné ou laissé là de manière volontaire) et peut ressembler à une œuvre d’art. Pièce sonore : bruits, musique, atmosphère sonore de la ville. Proposition : Suggestion d’une modification de l’espace urbain, de sa forme, de ses règles, de son fonctionnement. Rebaptême : Changement du nom d’une rue, d’une place, d’un carrefour ou d’un quartier entier. Reconversion : Proposition de changement discret ou radical d’un lieu, d’une architecture. Scène : Description d’un événement auquel on assiste ou qui nous arrive directement. Style : Architectural, vestimentaire, esthétique. Théorie : Hypothèses, interprétations sur la ville et les événements qui y surviennent. Vie future : La ville telle qu’on l’imagine dans l’avenir, telle qu’on s’y projette. Vie antérieure : Évocation d’un événement de sa biographie. Ville antérieure : Description de la ville d’avant.
Extrait : « Je pars de la RUE DU FAUBOURG-SAINT-MARTIN (1 885 x 20 m), mon centre de gravité. Sur la façade du I, apparaît en lettres de métal CENTRE DE SANTÉ. Un travelling arrière, et le voilà métamorphosé en « marchand de vêtements pour enfants ». Comme un néon sur les murs d’une galerie, les mots brillent dans le vide, coupés de leur référence. Contact : j’accoste un client qui sort du magasin. Il n’a rien remarqué de spécial. Piège : si un laboratoire d’analyses médicales dépose le bilan, ses résultats sont-ils encore fiables ? Le négatif devient vice versa. Configuration : j’observe sous sa protection l’élégante porte Saint-Martin qui, elle, n’est pas un leurre, mais une arche à 3 branches sur socle. Monument mineur, elle n’est guettée par aucun effet d’usure. La nuit, éclairée par des projecteurs, elle accède même à la beauté du second rôle. Le bas-relief a fixé les personnages historiques en spectateurs impuissants ; face à la mobilité incessante des piétons et voitures anonymes, les héros louis-quatorziens n’intéressent personne, comme s’ils avaient été floués par la gloire. Théorie : l’ennui dégagé par les monuments vient de leur caractère universel, qui les ancre dans un lieu définitif et les fige pour l’éternité dans le statut de « grande chose ». Bien qu’il y ait des gens ennuyeux comme des monuments, la face humaine me paraît toujours plus riche de sens et d’affect que les « vieilles pierres ». Les monuments sont des volcans éteints. Cet ennui ne se dissipe que par la grâce d’une représentation, film ou photo, qui ranime les masses de la ville endormie, et transforme les fictions en documentaires. Rebaptême : la porte Saint-Martin, ma colonne d’Hercule. Méthode : je prends le trottoir de droite pour monter vers Stalingrad, je prendrai celui de gauche pour redescendre. »
« L’auteur, écrit Laure Limongi sur son blog, adopte un angle d’approche qui m’est cher depuis quelques années – depuis ma première visite de Berlin, ville-friches, et ma lecture de Gilles Clément (sa notion de « tiers paysage ») – la question de la muséification de Paris dont on observe la progression à l’œil nu, tous les jours, avec la vitesse des marées qui déboulent à l’allure de chevaux au galop. Épuisant l’arrondissement à la Queneau, de façon vertigineuse, Thomas Clerc crée également une forme hybride d’écriture, comme il l’avait fait dans son Maurice Sachs. »
Proposition d’écriture :
Entrelacer, dans une forme hybride d’écriture, l’étude objective, documentée, et les considérations personnelles ou autobiographiques (ces dernières n’étant nullement inscrites en marge de l’étude mais dans son déroulement même), pour décrire un quartier, une ville, en adoptant l’ordre arbitraire mais incontestable de l’alphabet. Il faut en effet renouveler les modes d’approches et de perception de la ville en s’offrant à la flânerie et à une lecture vagabonde, discontinue plus que linéaire. Les bornes régulières qui viennent relancer le texte offrent un point de vue différent sur la ville.