Les lieux
En 1969, Georges Perec choisit une douzaine de lieux parisiens dont il projette de décrire, douze ans durant, le devenir :
« J’aimerais qu’il existe des lieux stables, immobiles, intangibles, intouchés et presque intouchables, immuables, enracinés ; des lieux qui seraient des références, des points de départ des sources :
Mon pays natal, le berceau de ma famille, la maison où je serais né, l’arbre que j’aurais vu grandir (que mon père aurait planté le jour de ma naissance) le grenier de mon enfance empli de souvenirs intacts...
De tels lieux n’existent pas, et c’est parce qu’ils n’existent pas que l’espace devient question, cesse d’être évidence, cesse d’être incorporé, cesse d’être approprié. L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner, il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête. »
Espèces d’espaces, Galilée, 1974.
L’ensemble des Lieux est incomplet, on dispose aujourd’hui de 133 enveloppes à la place des 288 que prévoyait Georges Perec, dans le programme exposé en 1969.
Présentation du projet :
Notes sur un travail en cours
« En 1969, j’ai choisi, dans Paris, 12 lieux (des rues, des places, des carrefours, un passage), ou bien dans lesquels j’avais vécu, ou bien auxquels me rattachaient des souvenirs particuliers.
J’ai entrepris de faire, chaque mois, la description de deux de ces lieux. L’une de ces descriptions se fait sur le lieu même et se veut la plus neutre possible : assis dans un café, ou marchant dans la rue, un carnet et un stylo à la main, je m’efforce de décrire les maisons, les magasins, les gens que je rencontre, les affiches, et, d’une manière générale, tous les détails qui attirent mon regard. L’autre description se fait dans un endroit différent du lieu : je m’efforce alors de décrire le lieu de mémoire, et d’évoquer à son propos tous les souvenirs qui me viennent, soit des événements qui s’y sont déroulés, soit des gens que j’y ai rencontrés. Lorsque ces descriptions sont terminées, je les glisse dans une enveloppe que je scelle à la cire. À plusieurs reprises, je me suis fait accompagner sur les lieux que je décrivais par un ou une ami(e) photographe qui, soit librement, soit sur mes indications, a pris des photos que j’ai alors glissées, sans les regarder (à l’exception d’une seule) dans les enveloppes correspondantes ; il m’est arrivé également de glisser dans ces enveloppes divers éléments susceptibles de faire plus tard office de témoignages, par exemple des tickets de métro, ou bien des tickets de consommation, ou des billets de cinéma, ou des prospectus, etc. »
« Je recommence chaque année ces descriptions en prenant soin, grâce à un algorithme auquel j’ai déjà fait allusion (bi-carré latin orthogonal, celui-ci étant d’ordre 12), premièrement, de décrire chacun de ces lieux en un mois différent de l’année, deuxièmement, de ne jamais décrire le même mois la même couple de lieux ».
« Cette entreprise, qui n’est pas sans rappeler dans son principe « bombes du temps », durera donc douze ans, jusqu’à ce que tous les lieux aient été décrits deux fois douze fois. Trop préoccupé, l’année dernière, par le tournage de « Un homme qui dort » (dans lequel apparaissent d’ailleurs, la plupart de ces lieux), j’ai en fait sauté l’année 73 et c’est donc seulement en 1981 que je serai en possession (si toutefois je ne prends pas d’autre retard...) des 288 textes issus de cette expérience. Je saurai alors si elle en valait la peine : ce que j’en attends, en effet , n’est rien d’autre que la trace d’un triple vieillissement : celui des lieux eux-mêmes, celui de mes souvenirs, et celui de mon écriture ».
Proposition d’écriture :
Google Street View permet désormais de remonter le temps avec les archives de son système de photographies panoramiques stockées sur ses serveurs depuis 2007.
Décrire le lieu que l’on a retenu depuis le début de l’atelier, vu depuis Google Street View, de la manière la plus neutre possible, décrire les maisons, les magasins, les gens que l’on rencontre, les affiches, et d’une manière générale, tous les détails qui attirent le regard.
Décrire ce lieu à deux moments différents, à l’aide des archives du lieu sur Street View. Il s’agit de créer un palimpseste comme toute mémoire, où les strates temporelles permettent une appréhension plus fine de l’espace, au fil du temps.