La nuit est un moment si particulier, si intense. Pour moi c’est comme la radio, un sas de décompression avant de trouver le sommeil. Manière de rêve éveillé. C’est très
agréable cet engourdissement sans se laisser aller à dormir. La radio, la nuit, un instant privilégié. Une écoute à partager. Où l’on cherche à effacer les traces du jour comme au matin celle de la nuit sur nos visages. Et quand la nuit ne retient plus rien qui vaille,
regagner sa chambre infime, écouter la radio dans l’obscurité, s’allonger à même le carrelage ou rester assis dans son fauteuil. On parle trop peu de la capacité qu’ont les corps à épuiser la lumière et à chasser les bruits du jour par la sonorité nocturne. Et sans cesse avec cette présence forte des voix, cette répétition sans fin chaque soir. Ce couple qui parle dans la nuit c’est à notre rencontre qu’il vient, leurs deux voix qui se répondent ou s’entrecroisent, s’interrompent ou se relancent, s’adressent à nous. Nous parlent et parlent de nous. De nos certitudes et de nos doutes, de nos douleurs, souvenirs et perte de mémoire. Puis on ferme les yeux et la rencontre se produit, aux révélations
étonnantes. Ma nuit à moi est déjà là.
LUI : À travers moi maintes voix longtemps muettes. Voix voilées, dont j’écarte le voile. Voix indécentes par moi clarifiées et transfigurées.
ELLE : Le temps tire de la nuit chaque découverte. Sous nos paupières fermées dansent les points de vue fragmentaires, contradictoires, aléatoires du jour déjà lointain.
LUI : Laissons là ses fantômes réduits au rôle de simples témoins ou de relais. Inventons l’horizon. L’obscurité de la nuit aime quand ça commence encore. Dans le double mouvement de l’élan et du refus.
ELLE : Une mélodie s’élève pourtant.
LUI : On atteint le cœur. Les sensations de l’enfance. Ça tourne autrement et c’est tout autre chose.
ELLE : Cela vient du ciel ou d’ici oui. Dans les variations des traverses. L’éventail de la nuit se referme.
LUI : Vite, on compte les instants où le hasard a eu sa chance. Il y en a tant, même si on en mentionne si peu. Perdu à tout jamais, éclat d’une vibration, d’une largeur, d’une tristesse sacrée.
ELLE : Poussières, odeurs, empreintes, pointes, paradoxes et autres aspérités. Il me donne des ailes le bonheur que je ne mérite pas.
LUI : La nuit tombe.
ELLE : Les voitures glissent sur le bitume.
LUI : La nuit s’achève, les mots tus nous rendent aux babillages sociaux.
ELLE : On s’aperçoit qu’il y a de la musique dans un bar lorsque le disque se met à sauter.
LUI : Ne cherchez pas de ce côté-là, vous ne trouverez rien. Si ce n’est la force de celui qu’on affronte. Plein de recoins, pièges et surprises.
ELLE : Les sons nous parviennent depuis la terrasse.
LUI : Les ombres ont pris la tangente avant l’aube. Rien n’a changé. Je déteste la sauce entre les mots.
On peut écouter l’émission en ligne sur le site de France Culture le quatrième et dernier épisode de la série diffusé hier soir vers 23h40. Le podcast de l’émission est disponible en ligne encore quelques jours.