J’ai toujours été sensible à la voix. Je croise quelqu’un, je sais que je le
connais, l’ai déjà croisé, mais je peux me tromper, ne pas trouver son nom de
suite. Avec la voix, le grain d’une voix, c’est comme une empreinte, je reconnais toujours la personne. Quand je suis arrivé devant la porte du Studio 117 : deux personnes discutaient, je me suis présenté, ils m’ont salué. Je n’ai pas reconnu leur nom, un peu ému. Pourtant, plus je regardais Laurent Poitrenaux, plus j’avais l’impression de le connaître. Christelle Tual et Laurent Poitrenaux se sont assis pendant qu’Olivier Dupré installait le matériel, lisant le texte en diagonal, me posant parfois des questions. Laurent Poitrenaux a tout de suite vu de quoi il s’agissait. Il a parlé de cut up dans la phrase qui permettait de
passer d’une émotion à une autre. Et je me suis souvenu de sa voix dans les
pièces d’Olivier Cadiot mises en scène par Ludovic Lagarde.
« C’est comme si j’avais trouvé dans son écriture un tempo, une musicalité. »
Sa voix change de registre avec la même adresse sidérante. L’enregistrement commence. Dans l’obscurité, des voix se font entendre. Tout cela n’est que nuances. Des
images se glissent. Des voix, des échos. Des mains et des visages. Les pas qui
nous rendent anonymes. Les horloges vont à rebours. On ne sait pas définir le
temps, si c’est du passé ou du présent.
J’ai lu au 104 une version de ce texte.
à l’occasion de la fin de résidence d’Anne
Savelli. Étrange, comme elle me l’a fait remarquer, d’entendre ces mots-là dans cette version dialoguée. La voix cassée de Christelle Tual, toute en sensualité et celle de Laurent Poitrenaux réfléchie et tendue vers l’intérieur. Avec ces échos et leurs correspondances. Sous la voix des acteurs comment situer sa propre voix ?
Quand on aime, qu’aime-t-on ? Quand on écoute, qu’entend-on ? Le texte pose, à travers la voix des acteurs, leur jeu, ces questions intempestives tant elles remettent en cause l’apparente simplicité du réel. Jouant avec les auditeurs, brouillant les représentations
trop simples et les frontières trop claires, il souligne à quel point nous construisons la réalité.
Nous déambulons là dans un labyrinthe. Mais les yeux ouverts je
ne vois rien.
LUI : Retourner la lumière et parler de ces paysages fuyants. C’est une
étoile qui nous suit.
ELLE : On voit plus nettement son âme dans des espaces qui n’en ont pas.
LUI ; : Apprendre à voir et à entendre, tel est l’enjeu. La langue tout
entière est lumière.
ELLE : Lumière dans la vitesse. Le regard est cette parole élémentaire,
essentielle, faite de résonances et de silences, d’interrogations et de
visions. Le clair et l’obscur, l’évidence et l’énigme.
LUI : La chute est douce, la peau est douce, la voix est douce, la
douceur fait un petit trou de lumière dans un chapeau de paille. C’est un
silence entre les mots, c’est un espace entre les lignes. Souffle cherché à la
racine des os.
ELLE : Et pourtant la nuit, aucun mot n’est dit, aucun bruit, quelques
notes seulement, ce n’est pas perdu pour tout le monde.
On peut écouter l’émission sur le site de France Culture avant d’écouter le quatrième et dernier épisode de la série ce soir vers 23h40. Le podcast de l’émission sera très prochainement disponible en ligne.