L’esprit d’escalier est un livre numérique publié en 2020 par La Marelle éditions.
Il est disponible au prix de 4,99 € sur le site de La Marelle.
Le texte se présente également sous la forme d’un jeu de cartes disponible au prix de 18 € (version numérique et frais de port inclus) sur la librairie en ligne Heures indues
Fugue à deux voix et multiples combinaisons
Ce texte hybride travaille sur le lieu de la rencontre, le processus de sa révélation et l’invention de cet amour (invention, car en musique il s’agit d’une fugue à deux voix, tandis qu’en archéologie c’est la découverte d’un site, d’un lieu) sous la forme d’une histoire, celle de Sandor et Nyssia.
L’escalier monumental de la gare Saint-Charles à Marseille est composé de 104 marches. Ce récit raconte la rencontre de ce couple, à travers le temps, dans l’espace de cet escalier. Il est composé de 104 textes, répartis ainsi : 52 textes pour le personnage de Nyssia, et 52 textes pour le personnage de Sandor.
Ce nombre de 104 (2 fois 52) évoque un jeu de cartes, et la structure du texte s’appuie sur cette forme car l’histoire peut se lire sans ordre fixe ou préétabli, se présentant sous forme de pages autonomes que le lecteur est invité à battre comme un jeu de cartes, permettant de multiples combinaisons possibles et changeant la chronologie des événements ou des situations, et par conséquent l’intrigue.
En lisant tout d’abord la version descendante de l’histoire (le récit de la femme) ou sa forme montante (le récit de l’homme), ce n’est au départ qu’une partie de l’histoire que l’on découvre, sous la forme d’un récit fragmenté où deux voix dialoguent à distance, par paliers, avant de se rencontrer. En conclusion, les deux versions peuvent se lire de manière entremêlée, pour atteindre peut-être à l’esprit d’escalier, ce moment mystérieux de compréhension qui arrive toujours dans un second temps…
Un livre numérique avec autant de versions différentes que de lecteurs.
Extraits :
Descendre l’escalier avec Nyssia
marche #74
Au milieu de l’escalier, l’homme semble figé, plongé dans son absence de pensée. Immobile depuis bientôt une heure, il oublie qu’il est là. On dirait qu’il laisse passer la lumière. Tête levée, il guette le ciel. Je reste incrédule, essayant de venir à bout de ce moment qui s’étire. J’avais oublié que ce lieu de transition, de passage, que je n’ai fait que traverser chaque jour, le matin, le soir pour me rendre à mon travail et retourner chez moi, est également une station, une étape, un moment de repos, de contemplation parfois. Je me fais l’impression de progresser telle une ombre jusqu’au terme de l’escalier comme au bout de mes journées. Les marches s’improvisent assises, inconfortables, fauteuils précaires, mais c’est liberté gagnée de voir les autres passer à vos côtés, pressés, sans un regard pour vous comme pour ce qu’il y a autour, vous ignorant pour s’échapper, retrouver leurs habitudes. Mon ombre se raccourcit et s’élargit. Je me laisse absorber. L’horizon disparaît avec moi.
marche #57
Pour précipiter les coïncidences et recevoir les fruits du hasard, il n’y a qu’une méthode, qu’une piste possible, c’est la dérive. Lorsque j’y repense, j’ai l’impression d’un enchantement. Le ciel bleu et le soleil font étinceler les vitres des immeubles. Les bruits du jour, les images s’éloignent. J’y demeure. N’en reste qu’une trace mouvante très longue à s’effacer. Dans le reflet de l’impossible, dans un écho différent du jour nous attendons nos possibles. Nous engendrons ce rapport dans la tension dans laquelle nous grandissons. L’écoute peut-être ou le passage d’un souffle à peine comme l’oubli dans la descente. Mais le paysage m’envahit, m’accompagne. La lumière se reflète sur tous ces fragments. L’immeuble fait de passages et de contradictions. L’escalier comme lieu inédit de rendez-vous, de refuge. En surimpression nos silhouettes sympathisent. Le contraste est frappant. Au-delà du raisonnable le risque zéro est impossible. Couper court, il faut oser je sais. Je viens vers toi.
Monter l’escalier avec Sandor
marche #20
La solitude me pèse chaque jour un peu plus. Dans tous les films que je vois en ce moment, dès qu’un homme et une femme sont proches l’un de l’autre, même s’ils ne se connaissent pas, et qu’ils viennent tout juste de se rencontrer ou de se croiser, s’ils sont dans cette intimité là, ces espaces réduits, familiers, qui les rendent accessibles, à proximité, c’est plus fort qu’eux, ils ne peuvent résister à cette attirance irrésistible. Ils finissent par se rapprocher encore, puis à s’enlacer et à s’embrasser. Ce qui n’arrive jamais au quotidien. C’est la réflexion à laquelle j’ai pensé en gravissant ce matin les escaliers. Si je croisais quelqu’un, l’attirance ne suffirait pas, il faudrait m’en rapprocher suffisamment pour entrer dans cette zone de proximité que, dans l’espace publique, on appelle espace de confidentialité, dans les postes ou les banques, devant un guichet. Ici, comment nommer cette intimité ? Encore une marche à gravir pour me rapprocher de toi que je ne vois pas encore.
marche #11
C’est un détail, une anomalie dans le paysage. Un angle mort. Il y a un endroit sur l’escalier d’où je ne peux plus voir la gare, cachée derrière les ultimes marches elle disparaît comme un mirage. En bas des escaliers, on ne voit pas la gare dans son intégralité, juste un fragment des arêtes étirées du toit. L’escalier n’a pas été construit face à l’entrée mais sur sa gauche. En bas du boulevard d’Athènes, elle trône sur son promontoire, tel le Parthénon sur son acropole. Pas besoin de voir la gare pour savoir qu’à mi-parcours elle commence à émerger et à envahir progressivement l’ensemble de l’espace avant de finir par occuper toute la place. Les marches de l’escalier derrière moi, légère sensation de crampe aux mollets, douleur fantôme dont la subtilité ravive l’impression de révélation. Je sais que le point de vue sur les choses évolue en fonction de notre positionnement, de la place qu’on occupe, de celle qu’on brigue. Tout est une histoire de position, de regard et de perspective.
Entre-deux : Sandor et Nyssia
marche #71
L’escalier n’est pas l’emplacement de l’espace, il présuppose déjà une certaine dimension spatiale sans laquelle il ne pourrait pas exister. L’escalier n’est pas seulement un élément du décor, il est la figure concrète de l’espace qui produit l’événement et en détermine le sens. Un escalier n’existe pas dans le vide même s’il ne mène nulle part. Il repose sur un sol et se démarque justement par rapport à ce sol sur lequel il s’élève. Ce sol est une première dimension spatiale qui se définit par l’étendue délimitée par la ligne horizontale. L’escalier donne accès à un ailleurs. On y passe d’un endroit à l’autre. Mais c’est déjà ce qui arrive dans le mouvement de gravir les marches. La perspective de l’espace change sous nos pas notre appréhension. Il nous faut sans cesse ajuster les distances mouvantes entre le haut et le bas. Enfin arrivé à son terme, ces rapports se renversent. Un escalier c’est à la fois une ligne horizontale, pour la stabilité, et une ligne verticale pour la hauteur.
L’esprit d’escalier se présente également sous la forme d’un jeu de carte à tirage limité à 100 exemplaires (que l’on pourra acheter très prochainement dans certaines librairies de Paris et Marseille), accessible en ligne sur ce site
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Diaporama des images au dos des cartes du jeu prises à Marseille, entre 2013 et 2019 :