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Ateliers d’écriture à la Faculté de Lettres de Poitiers

À l’invitation de Stéphane Bikialo, je reviens cette année à la Faculté de Lettres pour assurer une série d’ateliers d’écriture sur le thème du travail, comme je l’avais fait en novembre et décembre 2009 à Sciences Po Poitiers et à la Faculté de Lettres.

À lire sur ce thème, le dossier thématique n° 25, Écrire le travail, proposé par le groupement de libraires Initiales.

Mixage des lectures des élèves :

Les lectures sont accompagnées par quelques extraits sonores sur le thème du travail émanant de capsules sonores d’ARTE Radio.

Les résultats de cet atelier, dans leur forme sonore, et de celui que mène Stéphane Bikialo sur "quel travail voulons nous" suite à l’enquête Radio France, figureront dans l’exposition sur l’écriture du travail qui aura lieu à la Médiathèque de Poitiers, dans le cadre de la manifestation Filmer le travail qui a lieu à Poitiers, du 8 au 13 février 2013.

Cinquième et dernière séance :

Un atelier d’écriture autour de l’atelier d’écriture réalisé par François Bon avec les sidérurgistes d’ArcelorMittal.

« Quand la fermeture de la filière chaude à Florange continue de remplir l’actualité, et qu’on sait le coût humain que cela représente, mais aussi comme cela affecte un des symboles les plus essentiels de notre civilisation, peut-être lire avec une dimension supplémentaire ces textes écrits jeudi dernier à notre atelier d’écriture d’ArcelorMittal Fos-sur-Mer. Une usine construite en 1973, dans ces marécages abouchant sur la mer, dans une taille double que celle des aciéries de Lorraine. Pendant le chantier, près de 35 000 personnes ont investi la petite ville de Fos-sur-Mer, 2000 habitants : son unique marchand de tabac fera le 2ème chiffre d’affaire de tous les tabacs de France. Aujourd’hui, c’est encore plus de 3500 personnes sur le site, et la fascination du feu... »

Comme François Bon nous y invite dans le recueil de son atelier : l’usine écrire, je vais proposer aux étudiants de travailler sur un milieu qu’ils connaissent sans doute mal, l’usine.

Présentation des livres :

En 1982, François Bon publie aux éditions de Minuit son premier livre, "Sortie d’usine", et entame son parcours d’écriture. Dix ans plus tard, en 1992, il publie aux éditions Verdier un livre sous le titre "Temps machine" dont il propose une édition numérique révisée et augmentée sur Publie.net intitulée Mémoire d’usines.

En 2003, les trois usines électroniques Daewoo, implantées à grands frais et fonds publics dans cette vallée de la Fench en Lorraine, désertée par la métallurgie, mettaient tout le monde à la porte et se délocalisaient en Turquie et Pologne. François Bon se lance alors dans une enquête, via Internet, via l’ensemble des images et paroles dans les médias, et en revenant souvent hanter les lieux vides de l’usine. Le projet de théâtre qu’il mène avec Charles Tordjman, au Centre dramatique national de Nancy, se double alors d’un carnet de notes, un journal où, pour fabriquer de plus près ses personnages, il reprends cette matière réelle, perturbante, dans des entretiens fictifs.

Le livre paraît en 2004. Il est désormais disponible sur Publie.net.

Présentation des auteurs :

François Bon, écrivain, né en 1953. Publie son premier livre Sortie d’usine en 1982. Se consacre principalement à son site tierslivre.net et à la plateforme d’édition numérique Publie.net. Enseigne actuellement l’écriture créative à Sciences Po Paris. Dernier livre publié : Autobiographie des objets, Seuil, sept 2012.

Jeanne Hyvrard est économiste de profession, habite Paris et a déjà publié une œuvre importante, notamment aux Éditions des Femmes, Le Seuil, Minuit, Voix… Jeanne Hyvrard a publié de nombreux romans, de recueils et d’essais. Trois livres ont déjà été consacrés à son œuvre, à la fois engagée et originale.

Julio Cortázar, est né le 26 août 1914 à Ixelles et mort le 12 février 1984 à Paris, écrivain argentin, auteur de romans et de nouvelles, établi en France en 1951 et naturalisé français en 1981. L’œuvre de Julio Cortázar se caractérise par l’expérimentation formelle, la grande proportion de nouvelles et son roman Marelle, publié en 1963.

Atelier d’écriture :

Instructions-exemples sur la façon d’avoir peur, Instructions sur la façon de tuer des fourmis à Rome, Instructions pour remonter une montre, la série de Julio Cortázar sur les Instructions est justement connue et très souvent utilisée en ateliers d’écriture par François Bon.

Dans son atelier à l’usine d’ArcelorMittal Fos-sur-Mer, François Bon propose justement de travailler autour de la beauté du lieu, à partir du texte de cette série de Julio Cortázar sur les Instructions.

De son côté, Jeanne Hyvrard a guetté la beauté sous toutes ses formes, chaque jour d’une même année. Résultat : une éphéméride de pensées, de couleurs, d’objets, de sensations. Entre théorie et vision panoramique, les jours se déroulent dans leur acuité intellectuelle et sensorielle.

« 15 février. La beauté aujourd’hui, dans le petit bassin de la piscine, c’est une femme qui apprend à nager. Avec des fleurs sur son bonnet et sa bouée, on dirait une libellule. Je le lui dis. La passion poétique excuse-t-elle l’incorrection ? Et est-ce vraiment une incorrection ? Comment nomme-t-on les dévots de la beauté quand ils deviennent dogmatiques et sectaires ?

16 février. La beauté aujourd’hui, c’est une folle avec son chapeau à plumes. Elle se remaquille en pleine rue devant son miroir avec des gestes théâtraux. Une caricature ? Un personnage ? Une idole ? »

Comment parler d’un lieu qu’on ne connait que par l’actualité des plans sociaux, des fermetures, des grèves, d’un monde ancien voué à disparaître, comment tenter de décrite la beauté d’un univers qui nous est devenu étranger, qui est pourtant au cœur même de notre histoire, de notre culture et de notre civilisation ?

Extraits du texte Mémoire d’usines de François Bon :

« Ce dont on se souvient d’abord c’est des samedis soirs idiots, une rue au Mans en face la gare dans un bistrot au décor rouge, aux tables en contrebas et la bière trop tiède avant le retour à Spay.

Que les journées commençaient tôt (la brume sur les champs, un frisson de froid qui ne cessait qu’aux bouffées de l’usine) pour ne pas finir le soir avant sept heures, qu’on travaillait aussi le dimanche, que c’était l’été et qu’un soir au bout du camping entre les branches et les moustiques avec Roussette on avait voulu se tremper dans la Sarthe lourde et verte comme son nom même et celui de Spay en soi le portent.

Que Spay pour nous ce n’était pas le village mais l’usine plus peuplée que lui, que vue du dehors elle n’avait pourtant rien que de banal (et non pas la majesté écorchée des aciéries) : blocs verts de métal gaufré sous leurs charpentes-portique. Une usine passe-partout, qui ne montre pas du portail ce qu’on y fabrique, n’ajoute pas à votre prestige propre de vous avoir eu dans ses murs. Une usine pour laquelle on a même du mépris à ce qu’elle met l’organique en finalité du métal, que son organisation et ses machines ne conduisent pas, comme en aciérie, forge ou fonderie, à un autre objet mécanique mais serve seulement à la transformation de cette pâte vraiment abjecte et qui sentait.

Le train à rouleaux occupe le hall principal, imposant comme une machine d’imprimerie, compliqué comme pour l’impression plus noble d’un grand journal, long de quarante mètres et large de six, haut comme une maison de deux étages, autour de quoi tout gravite (usine où dès le premier soir on serait bien incapable de se perdre). L’été précédent à Longwy on découpait au chalumeau les bords usés de fonte dans les tranchées sous les laminoirs : ici une entreprise spécialisée s’occupait du train. Nous, les intérims, cantonnés en amont et en aval. Venus là pour brasser la mouise et payés en conséquence : la seule fois que j’ai travaillé en Sarthe, embauchés par une boîte de Paris venue recruter sur Angers parce que domicile à moins de cent cinquante kilomètres ils évitaient une surprime. Mais déplacement, prime de salissure qu’ils disaient de « salubrité », les soixante heures et le tarif double du dimanche ça faisait quand même encore un paquet au bout du mois.

En amont les hangars où les camions comme pour une fabrication clandestine et déjà honteuse se mettaient à cul pour dépoter par l’arrière. On stockait les ballots cerclés gerbes l’un sur l’autre. Le métal avait d’abord droit sur l’organique : dépecés par des herses de fer, puis les barres à picots où se défaisaient et se trituraient les ballots avant de tomber dans les hélices broyeuses.
La poudre grossière et fibreuse qui en sort, et qu’on lave par trempage en bain d’acide. »

Diaporama sur les hauts fourneaux (sur Flickr) :

Diaporama sur l’industrie sidérurgique (sur Flickr) :

Le sort des deux hauts-fourneaux de Florange/Hayange en Moselle a été l’un des sujets phares de la présidentielle.

Le webdocumentaire de Jérémie Nadié ArcelorMittal, coup de froid sur la filière chaude, revient sur les conséquences et l’avenir du site de Florange au travers des témoignages de syndicalistes, de salariés et de sous-traitants, ces dernier étant souvent oubliés par les médias.

Textes des élèves :

Il y a d’abord le grillage, qui du blanc a tourné au gris, du grillage est devenu barbelé. Il y a cette image de l’usine vue de loin, vaste cité fantastique, mirage de blocs de béton éclairés au néon, décor illuminé et terrifiant, féerique et cauchemardesque. Il y a ce règne du bâtiment, imposant, écrasant, dressé fièrement et perçant le ciel, bombant le torse face à l’homme. Il y a cette vision de contre-plongée angoissante, où le fourneau nous toise, nous cache et nous efface de son ombre. Il y a cette omniprésence du lieu, le fantasme ambivalent de la répulsion et de l’attraction. Il y a la terreur face à l’incohérence de la configuration des lieux, face aux lignes droites qui s’entremêlent dans un imbroglio invraisemblable, où les tubes s’entrecroisent tels des lignes de métro balancées dans les airs. Il y a cette saturation du paysage, d’un amas de formes géométriques qui retient l’air, le capture et étouffe à petit feu l’être humain. Il y a la matière fixée du bâtiment, la tôle rouillée à l’odeur d’humidité, le béton impassible et autoritaire. Il y a la matière liquide, vivante, venimeuse et imprévisible, spectacle de l’acier en fusion, de l’étincelle qui jaillit et frôle le visage de l’homme. Il y a ce camaïeu de gris, présent partout, tacheté de-ci de-là de petits points ocres et rosés, rappelant la présence de la chair humaine mouvante et bien vivante.

Marion P.


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