À l’heure où la technologie redéfinit nos manières de penser, de créer et d’habiter le monde, l’imaginaire des villes occupe une place centrale. Comment raconter la ville autrement ? Comment les outils d’intelligence artificielle (IA) peuvent-ils, tout en nous aidant à inventer des paysages variés, nous aider à voir la ville autrement ? Tels sont les objectifs au cœur du workshop Dans l’invisible de la ville, conçu pour les étudiants de 2ème année du Mastère spécialisé en direction artistique à l’École d’Audiovisuel et de Graphisme, Cifacom, rue de Bellevue à Paris dans le 19ème arrondissement. Sur une semaine, ce projet immersif invite à une exploration créative du narrative design à partir des outils de l’intelligence artificielle, inspirée par Les villes invisibles d’Italo Calvino.
Dans Les villes invisibles, publié en 1972, Italo Calvino imagine des dialogues entre Marco Polo et l’empereur Kublai Khan, où l’explorateur décrit des villes imaginaires, toutes plus fascinantes et abstraites les unes que les autres. Ces récits ne sont pas des cartes topographiques, mais des évocations poétiques : des villes faites de mémoire, de désir, de langage, de rêve ou encore de signes. C’est cette approche à la fois sensible et conceptuelle que ce workshop propose de réactiver en utilisant les outils de l’IA dans la création visuelle et narrative.
La ville est à l’image d’un palimpseste urbain, une stratification à la fois temporelle et spatiale, mais aussi sociale. On perçoit souvent l’espace urbain par le biais de ses traces matérielles, architecturales, qui renvoient à diverses époques historiques s’entremêlant. « La métaphore de la « ville-palimpseste », écrit Ursula Bähler dans son livre Figurations de la ville-palimpseste, invite à concevoir la dialectique entre le visible et l’invisible, entre des processus successifs d’effacement et de réapparition, et à construire l’espace de la ville – mais aussi l’espace de texte – comme un système où des opérations contradictoires s’organisent pour donner sens et valeur à des aspirations tant collectives qu’individuelles. »
Dans la vidéo Hashima, que j’ai réalisée en juillet 2023, j’ai développé une fiction à partir d’images générées à l’aide de l’intelligence artificielle sur une île de fiction, un lieu sans lien, imaginaire. Un navire à la dérive mettant à l’épreuve la mémoire de l’histoire. Ce film est le point de départ de ce workshop.
La ville, écrit Nicolas Nova, en hybridant un espace physique (les lieux) et virtuels (des histoires, des fictions) pour produire ni plus ni moins des légendes urbaines. » À partir d’une ville, et de sa représentation imaginaire, appréhender ce qui change profondément de notre rapport à l’espace élargir notre champ de vision, découvrir de nouveau territoires, envisager la ville sous un autre angle, une mosaïque des villes imaginaires.
Une ville cela commence où ? cela se finit comment ? Difficile d’en saisir les limites, les frontières et la définition. Explorer la question urbaine comme l’on peut rêver la ville. Un endroit et son envers. À partir d’une question qui revient sans arrêt, jusqu’où cette ville ? tenter d’y répondre en gardant ses distances avec elle pour rester dans la fiction.
Imaginer la ville avec les technologies d’intelligence artificielle (IA) qui en formeront le récit, une ville dont la description s’appuiera sur la couche d’un calque préexistant, une conjonction d’éclats de temps, comme une carte est une transcription dessinée du monde réel, sa représentation, les signes d’une ville transcrits sous la forme d’un plan, dans une tentative d’épuisement imaginaire de ce lieu à partir de son réel fantasmé, détourné, en un mot : inventé.
L’objectif principal est d’explorer comment des outils technologiques contemporains peuvent être détournés pour donner naissance à des formes poétiques et questionner notre rapport au monde. Il ne s’agit pas simplement d’apprendre à utiliser des IA comme MidJourney, Stable Diffusion, ChatGPT ou d’autres logiciels de modélisation, mais bien d’en faire des catalyseurs de récits inédits. En s’appuyant sur un lieu qui compte pour lui, utlisé comme point de départ d’une fiction de ce lieu qui vient se juxtaposer au réel, en y développant un univers parallèle, chaque étudiant va développer sa « ville invisible » où mots, images et sons se mêlent. Enfin, cet atelier ouvre un espace de réflexion critique : comment ces outils transforment-ils notre manière de percevoir et de raconter l’espace dans lequel on vit ?
Le workshop se construit comme un parcours progressif où la créativité collective joue un rôle central. Chaque journée propose un équilibre entre inspiration, expérimentation pratique et moments de restitution. Les étudiants partent des différents écrits qu’ils élaborent au fil d’ateliers à partir des textes d’auteurs et d’artistes, comme Italo Calvino, Adolfo Bioy Casarès, Laurent Septier, Fabienne Swalty et Sophie Calle) et les exemples des démarches artistiques de Robert Smithson, A Tour of the Monuments of Passaic, New Jersey, Chris Marker, La jetée, Jon Rafman, Nine Eyes, Mishka Henner, Paolo Cirio, Street Ghosts, Souvenir d’un Futur, une série photographique de Laurent Kronental, Being Borges, d’Ana Maria Caballero) et La ville qui n’existait pas de Grégory Chatonsky, pour développer, par étapes, leur propre ville imaginaire à l’aide des outils d’IA, en explorant successivement la création visuelle, narrative et sonore. À travers des exercices concrets et des échanges collaboratifs, ils donnent vie à des récits inattendus où se mêlent poésie, technologie et projections spéculatives.
L’utilisation de l’IA dans un cadre créatif soulève des questions majeures : Jusqu’où la machine peut-elle créer ? Quelle est la place de l’artiste dans ce processus ? L’IA peut-elle dépasser les cadres établis ou reste-t-elle prisonnière des données avec lesquelles elle a été entraînée ? Quelles sont les implications pour les droits d’auteur ? Comment l’IA invite-t-elle à repenser les collaborations entre artistes, scientifiques, et ingénieurs ?
Sélection des propositions les plus intéressantes :
Ce workshop ne se contente pas d’enseigner l’usage des outils que pour la plupart, les étudiants connaissent déjà, mais comment tenter de les détourner, de les pousser à bout, de les associer entre eux, pour obtenir exctement ce que l’on souhaite, l’image précise qu’ils ont en tête. Et même si le résultat n’est pas toujours à la hauteur de sleurs espérancse, cela leur permet de s’interroger sur le rôle de la technologie et du hasard dans un travail artistique, à la fois littéraire et plastique. Cela les invite à un dialogue : avec la technologie, avec des textes et des oeuvres variés. L’occasion de poser un regard critique sur l’avenir des villes et la manière dont l’IA redessine nos imaginaires.
Pour ces étudiants en Direction Artistique, ce workshop est bien plus qu’un exercice scolaire. C’est une invitation à penser autrement, à repousser leurs limites et à créer des récits qui, en tentant d’inventer une ville de fiction, dessinent en fait leur portrait en creux. En découvrant des outils innovants et en dialoguant avec les œuvres d’artistes contemporains, ils découvrent une vision renouvelée de leur métier et de leurs possibilités créatives.
L’ensemble des propositions des 25 élèves de 2ème année Mastère Directeur Artistique :