Les mots ont leur importance. Le vérifier chaque jour. Mais c’est d’abord une image qui retient ici l’attention. Les mots viennent ensuite, non pour chercher une explication mais pour se projeter dans ce que nous évoque cette image. Les titres chocs marquent les esprits, fixent l’attention et confirment ainsi la première impression laissée en nous par l’image. Celle d’un robot sous l’eau d’une fontaine dans un centre commercial de Washington.
Le robot, dénommé tour à tour sur le Web robot de surveillance, robot de sécurité, robot patrouilleur ou robot policier même s’il n’est pas encore armé, mesure 150 cm de haut, pèse près de 140 kilos. Fabriqué par la société Knightscope, le Knightscope K5 est équipé de capteurs, de détecteurs de mouvements et de caméras infrarouges qui lui permettent de filmer en continu et à 360°. Il se guide par l’intermédiaire de son GPS en patrouillant à une vitesse de 8 km/h maximum. Ce robot permet de fournir de nombreux renseignements aux forces de l’ordre en temps réel par l’intermédiaire de serveurs sécurisés, pour les orienter dans le cadre d’une levée de doute ou leur permettre d’intervenir dans le cas d’un flagrant délit.
Le robot aux allures de clone de R2-D2 explique sans doute l’approche ironique de l’événement. Si cet engin est si intelligent il n’a pas pu tomber par erreur dans la fontaine, il l’a fait délibérément. Ce qui permet de titrer de manière anthropomorphique : Un robot se suicide en se jetant dans une fontaine.
Apprendre le même jour que ce robot, suite à un bug de son système, a fait une erreur de trajectoire et a terminé sa course dans une fontaine d’un centre commercial américain qu’il avait initialement la charge de surveiller et qu’une jeune chanteuse française s’est électrocutée en plein concert sur scène, alors qu’elle chantait pieds nus dans une église, et que l’installation électrique était défectueuse, selon les premières expertises, me laisse perplexe. Je ne peux m’empêcher de relier ces deux événements qui n’ont pourtant rien à voir ensemble.
« L’idée de sécurité absolue, écrit la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle - comme le « risque zéro » - est un fantasme. Elle fait appel à un sentiment d’impuissance archaïque et au désir de réparation qui s’y attache. Il faut se méfier de celui qui vous propose une sécurité totale, car cette mise à l’abri fonctionne souvent sur un mode pervers. Le prix de la protection devient vite très cher. On le voit dans les pactes mafieux. De l’infantilisation, on passe à la mise sous tutelle. Si vous voyez des forces de l’ordre patrouiller, c’est plus inquiétant que rassurant. Paradoxalement, les signes de protection réactivent le sentiment d’insécurité. Les lois sécuritaires provoquent des transgressions qui vont elles-mêmes justifier de nouvelles règles de sécurité, c’est un cercle vicieux. La vraie protection d’un être est une confiance aussi dans la capacité qu’il aura ou non d’éprouver sa liberté. Vivre, c’est prendre des risques par définition. Un être autonome est moins facile à influencer qu’un être gouverné par la peur. »
Ce que diffuse la télévision, la presse, les réseaux sociaux, se réduit à l’instant de l’événement. Il faudrait retirer leur dimension voyeuriste spectaculaire, l’effet de choc et la surexposition à l’effroi, sur lesquels ils jouent en permanence en ciblant la synchronisation de nos émotions collectives.
Je me dis que le jour où les robots ne tomberont plus en panne, qu’ils ne chuteront plus par erreur dans une fontaine, sans doute est-ce le jour où plus personne ne mourra sur scène par accident. Le jour où l’accident même aura totalement disparu, et que nous aurons totalement, définitivement disparu.
« Un homme libre ne pense à aucune chose moins qu’à la mort, écrit Spinoza dans son Éthique et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie. »
Un risque. Risquer la vie.