Au réveil, la nouvelle nous saisit. du mal à y croire. C’est abstrait, inattendu, tout d’abord. Ce détachement dans la voix du journaliste radio. Du mal à y croire. Il répète ce qu’on lui transmet comme information. Nous en saurons plus un peu plus tard, mais restez avec nous.
Les enfants à qui je montrais Google Street View, au moment où j’arrive par hasard, avec Globe Génie, sur Tokyo, et à qui je demande s’ils sont au courant de ce qui vient de ce passer là-bas, au Japon, me demandent en réponse au tremblement de terre dont je leur parle, s’ils peuvent le voir sur Google Street View.
Un tremblement de terre ce n’est pas très visuel, c’est surtout, pour ceux qui y assistent, un choc corporel. L’image tremblotte, c’est à peine si on se rend compte que tout bouge, tremble, secoue autour de soi. avec le bruit oui on peut commencer à se rendre compte, mais on est encore loin de la réalité, de la violence de la secousse. On a du mal à comprendre le lien entre ces images amateurs où tout tremble (maladroitement on dirait) et les premières images qui nous parviennent par l’intermédiaire de la télévision, cette vague gigantesque qui balaie tout sur son passage. Encore une fois tout est question d’échelle. Filmée de loin, la vague parait bien inoffensive. Mais ces petits blocs de couleurs qui flottent à sa surface, ces formes bleues qui se déplacent latéralement, avec la lenteur de la coulée de lave, on met du temps à comprendre qu’il s’agit de containers, de maisons, de voitures, de camions, de bateaux que la vague emporte avec elle, dans son inexorable mouvement destructeur.
Étonnante construction du récit du journal télévisé en continu, en temps réel. À suivre les informations télévisées en boucle toute la journée, on comprend mieux comment cela fonctionne en fait. C’est conçu pour être regardé ponctuellement, pour être tenu au courant de ce qui se passe, on allume la télé, pour suivre l’actualité. Mais regarder en parallèle la télé française (France 24, iTélé) et la télé japonaise (NHK), avec quelques incartades sur les télés américaine (CNN) et anglaise (BBC), on découvre une forme de récit inédite. L’information en direct, en temps réel.
Quelques heures après l’événement la page sur le Séisme de 2011 de la côte Pacifique du Tōhoku, est déjà en ligne sur Wikipédia.
En boucle la télé, et dès que les premières images nous parviennent, celles diffusées par le Boston Globe (The Big Pictures), on entre dans une autre dimension. L’image devient récit, sans un mot, s’impose par sa beauté.
Les médias français ont assez peu de correspondants sur place visiblement, pour avoir le point de vue de l’habitant, le témoignage sur le séisme vu de l’intérieur, ils diffusent les témoignages de ressortissants français. Sur France Info par exemple :
Philippe Faure est ambassadeur de France au Japon. Il réside à Tokyo et a ressenti là un tremblement de terre exceptionnel.
Jordy Delage est un jeune expatrié français qui vit et travaille à Tokyo. Via le logiciel Skype sur Internet, il raconte la manière dont il a vécu ce tremblement de terre.
Mathieu Buglet, photographe français de 26 ans, s’est installé au Japon il y a deux ans, il vit à Tokyo. Il rentrait chez lui au moment du tremblement de terre.
La nuit tombe sur Tokyo où habite Jean-Philippe Audren. Il est rentré du travail il y a quelques heures, il raconte l’ambiance
C’est aussi difficile de faire parler quelqu’un de ce qu’il ressent au moment d’un séisme que de montrer des images de celui-ci. Il n’y a que lorsque l’on pose la question au journaliste de France Inter (très tôt ce matin après le séisme) qu’on entend, dans sa réponse, son récit méticuleux, qu’on perçoit ce léger tremblement dans la voix, son émotion après coup qu’il laisse échapper en direct, la peur qu’il ne peut contrôler.
Réunis hier soir au café du la Gare de l’Est, avec Anne Savelli et Raymond Bozier, pour mettre en place un projet éditorial sur les fenêtres avec Publie.net, nous avons immanquablement évoqué mon tout récent séjour au Japon, et parlé assez longuement de Tokyo. Raymond Bozier nous disait qu’il redoutait cette ville. À l’inverse, il nous a raconté l’histoire d’un couple d’amis dont la femme japonaise et l’homme eurasien avaient décidé de venir vivre en France, s’installer à la campagne. Et la femme japonaise, qui n’était jamais vraiment sortie de Tokyo, n’a pas supporté ce vert autour, ce vert, tout ce vert. Aucun bruit urbain alentour. Cet air chargé de senteurs de fleurs écœurant. Et la nuit, le ciel étoilé et le pascalien « silence éternel de ces espaces infinis. »
Je me souviens de cette étrange sensation de froid au moment de l’éclipse solaire du 11 août 1999, la lumière qui baisse rapidement, les animaux qui s’immobilisent tous, le froid qui nous tombe sur les épaules en plein été, l’impression d’une ombre qui passe.
Dans les rues de Tokyo, la foule. Alors qu’il fait encore jour et qu’il n’y a plus de train, plus de métro, on attend dans la rue, se tenant informé par le biais des grands écrans vidéos géants qui ornent les immeubles à tous les carrefours de la ville. Et chacun tente d’appeler pour rassurer, prévenir, organiser sa journée. La situation est prévue pour durer, ils le savent, ils ont l’habitude même si l’on sent qu’aujourd’hui c’est un peu différent, plus fort, les répliques des secousses continuent tous les quarts d’heures à se faire sentir, rappelant en écho la première onde de choc.
Et cette collègue qui m’écrit : "Tu es quand même rentré à temps". Comment pouvoir lui expliquer sans mauvais esprit ou incompréhension, qu’on aurait tout de même bien aimé être là-bas, vivre ça. On irait pas exprès, mais y être (à Tokyo, pas à Sendaï, bien évidemment), c’est aussi ça Tokyo, habituée à ces secousses régulières (il n’y a qu’à voir le calme et la sérénité avec laquelle les japonais abordent, dans l’ensemble, ce tremblement de terre), c’est une dimension du pays à côté de laquelle on peut difficilement passer si l’on aime vivre dans ce pays.
La journée avance et j’ai bien du mal à me concentrer au travail, derrière mon écran d’ordinateur, incapable d’écrire, de penser, d’agir.
Au fil de la journée, surpris des réactions variées que j’entends autour de moi. Avec cette distance du journaliste radio ce matin, qui m’est devenue étrangère. Comme si tout cela ne nous concernait pas, si lointain, comme si ce n’était que des images vides de sens pour nous, qu’on ne pouvait que commenter avec légèreté, incompréhension, distance, ou ironie.
La journée avance et la nuit tombe là-bas au Japon. Il y a encore de très nombreux embouteillages en ville. La télé informe que la plupart des tokyoïtes restés prisonniers en centre-ville, par manque de transports en commun, ont pour la plupart trouvés un abri pour la nuit. Tout a été mis en place pour les héberger, et ceux qui n’habitaient pas en banlieue, sont rentrés à pied chez eux.
Une nouvelle journée commence donc, les images de la veille encore en tête. Au Japon la journée déjà bien entamée. Je lis les derniers tweets de David Michaud.
8h45 le soleil est levé depuis longtemps, la nuit fut calme, on attend que ma femme rentre... L’heure est au bilan sous un ciel bleu d’hiver. Un journée "ordinaire" semble commencer. Mais la télé rappel la catastrophe qui a eu lieu... et les répliques qui continuent toujours... Les premières images du Tsunami vu du sol passent à la télé... C’est hallucinant ! Des torrents de maisons ! Argh, le réseau téléphonique est de nouveau saturé.... Merci pour vos Tweet et RT. Aujourd’hui semble être un samedi comme un autre... Du monde dans les restos et les boutiques. Une pensée pour les habitants du Nord du Japon, qui eux ont terriblement souffert du tsunami. Ça prendra du temps pour un bilan... Dans mon coin à Yokohama, les traces les plus visibles du grand séisme sont les rayons vides des Cup Noodles et piles... On dirait que certains se préparent au Big One dont l’épicentre sera dans la baie de Tokyo... J’espère que non... Je viens de passer au magasin où j’ai fait la vidéo hier. Fermé ! Il a bien souffert du séisme ! J’ai eu chaud ! Voir : http://lejapon.fr/1945 Explosion d’un des réacteur atomique de la centrale de Fukushima... Aucunes images à la télé... juste une photo d’avant. On recommande aux gens de ne pas sortir et d’arrêter tout système d’aération chez soit... Et de ne plus respirer pendant une semaine aussi ? On a droit en boucle maintenant à l’explosion qui a eu lieu à 15h30... depuis les TV semblent avoir quitté la zone. Gros nuage de fumé..
À travers ces phrases, je sens en moi les répliques lointaines du séisme d’hier, son onde de choc, et mon cœur en écho, bat toujours un peu plus vite, un peu plus fort, comme si j’étais toujours là-bas.