Chaque mois, un film regroupant l’ensemble des images prises au fil des jours, le mois précédent, et le texte qui s’écrit en creux.
« Une sorte de palimpseste, dans lequel doivent transparaître les traces - ténues mais non déchiffrables - de l’écriture “préalable” ».
Jorge Luis Borges, Fictions
Je recherche de plus en plus souvent en ville les îlots isolés, les recoins secrets, à l’abri du passage, dans les replis de la ville, les lieux où elle se transforme en repaire. Une ville à soi, où se retrouver. Loin du tumulte, de la circulation.
Le calendrier japonais traditionnel divise l’année en 24 périodes, en se basant sur le calendrier chinois. Ces 24 sections sont elles-mêmes subdivisées en 72 périodes d’une durée de 5 jours. Leurs noms proviennent de Chine mais Shibukawa Shunkai, astronome de la Cour, aurait adapté en 1685 les périodes du calendrier chinois pour qu’elles correspondent mieux au climat japonais. Un voyage poétique à travers une année japonaise. Du 1er au 5 mars : L’herbe se remet à pousser, les arbres bourgeonnent. Du 16 au 20 mars : Les chenilles se changent en papillons. Du 15 au 19 avril : Les premiers arcs-en-ciel apparaissent. Du 16 au 20 juin : Les prunes jaunissent. Du 29 juillet au 2 août : La terre devient moite, l’air s’humidifie. Du 28 août au 1 septembre : La chaleur commence à s’atténuer. Du 18 au 22 septembre : Les hirondelles s’en vont.
C’est encore l’été, les derniers jours s’effilochent déjà tandis que sur le canal les lumières ont des allures d’automne précoce. L’été a été si chaud, les feuilles ont séché sur les branches avant de joncher le sol de leurs carapaces brunes qui craquent sous nos pieds. Avec cette odeur dans l’air si particulière qui chatouille le nez. L’odeur terreuse d’humus à la fois rugueuse et rassurante.
Encore un de ses endroits à Paris où j’aime me réfugier, me ressourcer, c’est pourtant dans l’enceinte de l’hôpital Saint-Louis que ce jardin se situe. Dans certaines cultures, le culte des morts les intègre dans la vie. On vient manger et boire sur leurs tombes, on se retrouve en famille pour honorer les défunts, discuter avec eux, leur rendre un hommage vivant. Ici, les malades se mêlent avec les familles venues fêter l’anniversaire de leur enfant, les jeunes couples s’octroient un peu d’intimité dans cet espace vert caché aux yeux des passants. Le calme règne dans ce lieu isolé au cœur même de l’hôpital, en plein centre ville. Les bâtiments anciens dialoguent à leur manière détachée avec la végétation, les branches des arbres qui s’agitent sous le vent léger. La lumière dorée baigne l’espace d’un halo lumineux, chaleureux.
Il y a des friches à Paris qui font naître en moi la vive nostalgie des terrains vagues. Ces parenthèses dans la vie trépidante de nos villes, qu’il faut préserver absolument. On entend de loin les bruits de la circulation, et c’est déjà bien assez. Ces lieux correspondent également à de salutaires temps d’attente. Des pauses nécessaires. Ce jour là, en fin de journée, rendez-vous pour l’Assemblée générale de L’aiR Nu dont je suis toujours président. Je dois retrouver l’équipe de l’association dans un café de Ménilmontant, je suis arrivé en avance. Je me promène dans les interstices de la ville. Les friches qui luttent en marge pour éviter qu’on efface ces espaces nus en construisant de nouveaux immeubles. Les jardins publiques construits en pente, entre la route et le cimetière.
« Te souviens-tu des chants, des veilles noires. Des corps noués, tremblant parfois. Et forts, debout.
Et de tes rêves te souviens-tu, de nos rêves hantés de présences collectives, tourbes des morts. En grande silence cohortes de morts, ombres, ombres d’ombres.
Ombres de quel enfant, que deviennent nos rêves. De quel enfant allons-nous naître. »
Ceux qui vont par les étranges erres les étranges aventures quérant, Claude Favre, Lanskine
En chemin pour passer une IRM dans le 8ème arrondissement, quartier que je fréquente guère, je remarque l’entrée d’une église dissimulée derrière les vitres de la porte d’un immeuble construit juste devant. Il faut pénétrer dans l’immeuble pour s’introduire dans l’église romano-byzantine où l’on peut admirer une immense fresque du Christ réalisée par James Tissot. Je visite le cloître Art déco unique ,en son genre en contrebas du couvent dominicain de l’Annonciation, où un photographe amateur expose ses images de Bretagne. L’impression d’espaces qui s’imbriquent telles des poupées gigognes.
Le hasard d’une recherche sur mon site me conduit à retrouver un ancien texte dont je ne me souvenais plus du tout, qui éclaire mon travail d’une manière inédite : Il s’agit pour moi de puiser dans la rumeur du monde, la bribe de conversation, l’esquisse du geste, l’image arrachée. Tout ce qui relève à première vue du banal, du quotidien, de la petite échelle, du prosaïque, mais en travaillant au contraire ce qui est grand, objectif, poétique, fantastique ou violent dans les interstices de la communication courante. Il ne s’agit pas alors de sonder l’infime, à la manière de l’entomologiste, mais plutôt : ouvrir vers l’infini à travers l’inachevé.