Chaque mois, un film regroupant l’ensemble des images prises au fil des jours, le mois précédent, et le texte qui s’écrit en creux.
« Une sorte de palimpseste, dans lequel doivent transparaître les traces - ténues mais non déchiffrables - de l’écriture “préalable” ».
Jorge Luis Borges, Fictions
On raconte que les habitants de la Butte Bergeyre détériore régulièrement l’unique banc situé face au panorama qui ouvre sur le Sacré-Cœur et l’Est Parisien pour éviter que ne se forme des attroupements de personnes à cet endroit (clochards ou touristes, badauds ou curieux) qui pourraient déranger la quiétude des lieux, mais ce ne sont sans doute que médisances déplacées et ridicules. Cependant le banc est régulièrement dégradé, ses lattes systématiquement arrachées, il ne reste souvent que les montants du banc en fonte. Et le paysage imperturbable
Retour à la maison, chez mes parents à Combs-la-Ville en Seine-et-Marne. J’ai vécu là-bas une vingtaine d’années. Tout cela me semble si lointain. Mais quand le soleil transforme le paysage de cette banlieue, je me souviens de certains endroits éparpillés dans toute la ville, qui forment sur la carte intime de ma mémoire une constellation de lieux agréables auquel il est plaisant de revenir.
Il y a une vitesse de marche à laquelle rien n’arrive. Le principe même du déploiement. Je m’abandonne sans hâte et sans horaires. Je peux entendre le reste du monde à la surface de ma peau. C’est une question de respiration, de quiétude. Chaque respiration ici déjà soulève un souffle. La réalité doit ouvrir ses fenêtres. À vrai dire, tout cela donne le vertige.
Pluie d’orage à Paris. Le bruit des gouttes d’eau sur le parapluie en écho avec celles qui tombent sur le trottoir, les éclats de lumière qu’elles forment au sol au moment de l’impact comme des projectiles tirés à bout portant. Les pas se pressent, fuyants, pour éviter l’averse. Les véhicules roulent au ralenti. Difficile de conduire dans la nuit. Sous la pluie. Le ciel est régulièrement illuminé par les éclairs de la foudre et son bruit fracassant l’espace. Les nuages se déchirent en filaments bleutés. Sur les flaques qui se forment au sol, les reflets font des ricochets de lumières, avec les feux de signalisation, les enseignes des boutiques encore ouvertes à cette heure, rouge, vert, orange, bleu. C’est un spectacle fascinant. Une partition lumineuse. Je tarde à rentrer à la maison malgré l’humidité. La nuit est belle. Je ressens tout ce qui m’entoure, que je traverse avec une effrayante intensité. J’entends comme une rafale de silence, puis les clameurs remontent contre la nuit. J’agis dans l’obscurité parce que c’est là que j’entends le mieux. J’entends le lieu.
Le paysage urbain de Porto est très minéral, avec un aspect granit de la ville qui la rend sombre, grise, un peu dure. Cela se retrouve dans la population que l’on compare souvent à Lisbonne : « Tandis que Porto travaille, Lisbonne s’amuse. » En admirant le fleuve en contrebas du vallon qui l’accueille, l’évidence que son nom Douro vient bien de doré, au fil des variations de lumière sur les pierres, les façades colorées, dans toutes les strates de la cité, par temps d’orage comme lorsque le soleil se couche et que l’eau change de couleur pour devenir mordorée.
Il y a de très nombreux musées à Porto, mais très peu exposent de la peinture ou des œuvres d’art. La Fondation Serralves, dans son magnifique parc, s’impose comme un lieu d’art contemporain incontournable. Nous y voyons entre autre l’exposition Cindy Sherman que Nina n’avait pas pu voir avec nous à la Fondation Vuiton, il y a deux ans. La présentation des photographies n’est pas chronologique et c’est comme si nous visitions soudain une autre exposition.
En lisant Un singe à ma fenêtre d’Olivia Rosenthal qui évoque plusieurs villes du Japon où nous sommes allés Caroline et moi, Osaka, Kyoto, Tokyo, un petit pincement au cœur qui se prolonge étrangement alors que nous sommes en voyage à Porto par la confirmation d’un voyage à venir dans ce pays qui me fascine tant, en avril de l’année prochaine. Et déjà je m’y transporte en pensées.
Dès que le soleil illumine les flancs de ses vallons, les façades de ses immeubles, de ses bâtisses colorées, le paysage apparaît dans un contraste d’explosion lumineuse. Les azulejos qui, sur les façades des immeubles représentent des motifs géométriques, figurent des scènes historiques sur les églises et la gare de São Bento, ces carreaux de faïence représentent le roman patriotique portugais auquel le pays est très attaché, au point d’entrer en conflit avec la véritable Histoire. Le souvenir des azulejos de Séville nous reviennent en mémoire en traversant Porto. Il ne s’agit pas en effet d’une création spécifiquement portugaise, ils proviennent de l’artisanat arabe, entre le VIIIe et le XIIIème siècle. Et de manière plus lointaine encore de la céramique chinoise, principalement connue pour la porcelaine que les Chinois ont inventée.
En parcourant les allées du très beau Cimetière de Lapa, le souvenir du réveil ce matin. Les vitres de l’appartement recouvertes de buée, dissimulant le paysage. En ouvrant la fenêtre la surprise de découvrir la ville totalement enfouie, disparue sous une brume épaisse. Les cloches de l’église sonnent au loin. C’est dimanche. Un repère dans le brouillard. Il est temps de rentrer à la maison.
Comme le dit Sandor Krasna, le cameraman du film Sans soleil de Chris Marker , dans une lettre en provenance du Japon : « Ce que j’ai envie de vous montrer, ce sont les fêtes de quartier. » Comme tous les ans à la fin octobre, pour la Praxe dos caloiros les étudiants de première année sont accueillis par les plus anciens, leurs parrains et marraines qui portent les costumes universitaires traditionnels, au cours de rituels d’initiation plus ou moins élaborées et fantaisistes, qui s’achèvent par un défilé débridé et joyeux réunissant toutes les universités à travers la ville. Il s’agit de ce qu’on appelle la Recepção ao caloiro.