Chaque mois, un film regroupant l’ensemble des images prises au fil des jours, le mois précédent, et le texte qui s’écrit en creux.
« Une sorte de palimpseste, dans lequel doivent transparaître les traces - ténues mais non déchiffrables - de l’écriture “préalable” ».
Jorge Luis Borges, Fictions
Il pleut sans faire froid. Chaque jour se répète à l’uniforme. Les averses succèdent aux éclaircies. La dernière revient c’est encore la première. Le soleil entre par la fenêtre avec l’odeur de pluie. Un point de vue inoubliable sur la ville pour une raison que je ne comprenais pas. Dans un va et vient continu se glissant dans les maisons, dans les chambres. Qui saura y regarder de plus près y verra sans doute bien plus encore. On s’y perd et c’est miracle à chaque fois en effet d’en ressortir vivant. Ce qui en revanche est très nouveau pour qui veut regarder ici. Des ombres glissent dans la pièce, le silence et le vide me frappent au visage une fois le seuil franchi.
La force de la parade. Il ne me voit pas. Il ne m’entend pas. Il pourrait, s’il faisait attention, sentir mon souffle sur sa nuque mais, même à ce moment précis, ça ne changerait plus rien. Autrui est une limite. Trébuchant comme des sauts de vie. Seul l’usage de la contrainte libère. Car la matière, le matériau sur lequel on travaille est toujours, forcément, contraignant en un sens. Il faut prendre son temps, se promener, admirer les lieux. Répétés par un pas qui devient lieu, qui transforme la ville à son rythme, un pas abandonné. Sans contrainte, ni limite. Ni à toute vitesse ni vraiment présent, protéger ce qui n’a pas eu lieu. Toute disparition est une métamorphose.
La seule ombre qui plane sur ce monde c’est la solitude. Créer, et montrer quelque chose. Créer une façon de montrer ou de donner à voir. Symétries, coïncidences, répétitions, effets de miroirs, écrans. User des mots pour dépasser les mots, retourner les mots contre eux-mêmes, leur faire perdre l’équilibre. L’incompréhension mutuelle, la crainte de l’abandon, les regrets et les nuits passées à attendre un coup de téléphone qui ne viendra pas. S’armer de patience. Chacun prétend se battre pour les intérêts de tout le monde. Rien, d’ailleurs, ne peut donner a priori une telle assurance. Et l’avare silence et la massive nuit.
On avance en ville pour s’éloigner les uns des autres et trouver dans cet écart ce qui nous rapproche. Les espaces que définissent en les séparant les cloisons sont dévolus à des tâches et des fonctions étanches. J’aimerais bien envisager le jour comme une porte ouverte. Je vais de maison en maison. Il faut prendre du recul et passer à autre chose. Se laisser du temps. Se donner une chance. On admettra qu’une telle situation possède une perfection qui fait plaisir à voir. Une telle envie dans la voix. Les oiseaux vont et viennent, distincts et indistincts. Nous ne vivons jamais qu’une seconde à la fois. Et c’est un réel soulagement.