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Au lieu de se souvenir (Semaine 31 à 35)

Chaque mois, un film regroupant l’ensemble des images prises au fil des jours, le mois précédent, et le texte qui s’écrit en creux.

« Une sorte de palimpseste, dans lequel doivent transparaître les traces - ténues mais non déchiffrables - de l’écriture “préalable” ».

Jorge Luis Borges, Fictions


Le mistral est un vent froid, sec, qui souffle toute l’année mais plus fréquemment durant l’hiver et le début du printemps. L’été, il chasse les nuages et les moustiques. Il refroidit la mer. Il maintient une température agréable. S’il souffle le soir, il est là jusqu’au lendemain soir. S’il commence à souffler le jour, il est là pour 3, 6 ou 9 jours. Cette fois-ci, ça n’a duré que trois jours.

Marseille. Revenir dans cette ville c’est à chaque fois un regain d’énergie. Un éclair de lumière. Une évidence de bien-être. Une joie retrouvée. Bien sûr, à force d’y revenir si souvent, avec cette idée plus ou moins précise d’y vivre un jour prochain, le lieu de nos rêves se précise un peu plus à chacun de nos séjours, même si rien ne peut nous permettre encore d’envisager clairement la possibilité d’y vivre, d’y trouver un logement, par exemple. Nous aimons cette proximité avec la mer. La taille d’un village avec ses commerces et sa vie de quartier. Les transports qui permettent de rejoindre le centre ou la périphérie de la ville. En surplomb, un peu à l’écart de la ville trépidante, sans en être trop éloignée, mais surtout ce lien indéfectible avec la mer. Le coucher de soleil sur l’horizon.

L’année dernière, Caroline et moi nous avions loué en mars un appartement dans une magnifique résidence située dans le Parc Montvert, rue des flots bleus, un espace boisé classé en surplomb du parc Valmer dont il est la continuité, avec sa villa du XIXe siècle de style néo-Renaissance. Le portail de la résidence était ouvert, nous en avons profité pour entrer et montrer aux filles, en vacances avec nous, le grand jardin en espalier et le terrain de tennis tout au bout, à l’ombre des arbres. Au moment de sortir, les portes coulissantes étaient toutes fermées et pas un habitant ni un gardien pour nous ouvrir. Pris au piège. Peur passagère, confusion et fou rire.

Depuis novembre 2022, nous filmons en famille notre quotidien. Chacun de son côté filme quelques plans (moins d’une minute) par mois. Depuis que nous avons commencé, le bout-à-bout de nos séquences dure déjà plus de trente minutes et forme un journal poétique de notre quotidien éclaté entre Paris et Nice. En montant sous un soleil ardent à Notre-Dame de la Garde, nous décidons de filmer au même moment quatre points de vue différents depuis ce point stratégique de Marseille. Hâte de découvrir le résultat de ce tournage en simultané.

La brume recouvre l’horizon. La ville disparaît sous un épais nuage qui transforme brusquement le paisible paysage en scène de guerre. Étrange impression où tous les bruits de la ville, sirène de bateau, klaxons, chiens qui aboient comme cris dans la rue, en contrebas, prennent soudain, dans cette inédite métamorphose une dimension dramatique.

Revenir à Paris, dans son quartier. Retrouver peu à peu ses marques. Ses habitudes et ses repères. Chercher la mer dans les reflets du canal. Comprendre que c’est précisément ça qui nous attire le reste de l’année, dans le va-et-vient des soubresauts de l’eau, leur doux clapotis, l’humidité sombre des bords, les lumières qui ricochent sur le béton des quais. Les lumières éclatantes de la ville. Cette ouverture du bâtit qui, avec le Canal Saint-Martin qui se prolonge dans le Canal de l’Ourcq jusqu’au bassin de la Villette, les arbres et les espaces vallonnés du parc des Buttes-Chaumont et les étendues du Parc de la Villette, offrent à l’Est Parisien une respiration, une ouverture qui fait fait entrer la lumière dans la ville. C’est l’été. On voudrait qu’il dure encore, qu’il allonge ses jours comme les ombres sous nos pas.

À Marseille nous avons pris le temps de visiter de nombreuses expositions, au Musée d’Art Contemporain qui a longtemps été fermé pour rénovation et réaménagement de ses salles, il propose désormais sa collection éclectique dans un lieu plus grand et accueillant, au Frac Sud - Cité de l’art contemporain, pour les expositions de Martha Wilson et d’Hamish Fulton, au Centre photographique pour une exposition de Paulien Oltheten sur les rituels et les miracles quotidiens. En revenant à Paris, cette frénésie d’art se poursuit. Des années à vivre à Paris dans une ville de musées sans en profiter vraiment. Ce week-end là nous visitons l’exposition Aimer. Rompre de Françoise Pétrovitch au Musée de la vie romantique. En sortant nous passons devant le Musée Gustave Moreau. Je n’y suis jamais rentré. Je pousse Caroline à le visiter. Nous irons plus tard admirer le travail de l’estampe et de la photographie par Degas en lien avec son travail de peintre et dessinateur, à la BnF - site Richelieu.

Cette femme qui marche vers moi à reculons sur cette ligne de désir dessinée au milieu de la pelouse du jardin de l’hôpital Saint-Louis, je suis le seul à voir son geste mystérieux, à l’accueillir dans le silence et le calme du lieu, c’est à moi seul que s’adresse ce signe que je ne peux pas encore comprendre. Je la vois qui s’approche. Elle ne me voit pas. Nous sommes faits pour nous rencontrer. Ailleurs. Pus tard. C’est un rendez-vous que je ne veux pas manquer.


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