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En ces temps de réclusion

Un décalage entre ce que j’ai compris au départ, l’annonce d’un confinement annoncé à demi-mots qui me rendait impossible de profiter de l’instant, en voyant tout le monde dehors, indifférent à la propagation du virus, n’ayant pas compris ou faisant semblant de ne pas comprendre l’urgence de la mise en place du confinement, qui se promenait ou investissait les parcs comme un dimanche ensoleillé de printemps.

Les jours passent, je ne suis pas encore sorti depuis l’annonce du confinement. Le ciel se dégage aujourd’hui, les nuages laissent passer la lumière, l’envie de me promener tout en sachant que rien n’est plus pareil. La ville s’est vidée, au ralenti les rues changent d’aspect, ce qui transforme aussi la motivation de ce qui nous pousse à sortir.

Dans la rue on se dévisage, on se défigure, un pas côté, un écart discret, tête baissée.

Le confinement est comme la société, à deux vitesses, pour certains comme moi c’est un moment privilégié, une parenthèse de temps suspendu (en dehors du travail à la bibliothèque) qui va pouvoir me permettre d’être en famille, de lire, de regarder des films, d’écouter de la musique, de prendre mon temps pour réfléchir à mes projets. Pour d’autres c’est plus compliqué, ceux qui sont seuls, ceux qui vivent à la rue. Et bien entendu, pour les malades et pour ceux qui les accompagnent et les soignent.

Les journaux du confinement se propagent comme le virus à vitesse grand V. Je comprends le besoin de chacun d’exprimer ce qu’il ressent pour surmonter ce moment si particulier, inédit mais je redoute leur diffusion. L’épanchement généralisé.

Entrons dans le vide du sujet.

On a beaucoup parlé ces derniers jours de distance de socialisation. Pourquoi parler de distanciation sociale au lieu de confinement ? S’il faut envisager la distance, pourquoi ne pas parler de distance physique. Nous croisons habituellement une cinquantaine de personnes par jour, pourquoi ne pas inciter à réduire ce chiffre ?

Écart, refus de relation existant entre différentes classes sociales (cf. distance I B 1 b) :
3. Vivons-nous la fin de la « distanciation » sociale du siècle dernier ? Les phénomènes de totale ségrégation culturelle tels que Zola pouvait encore les observer dans les mines ou les cafés sont en voie de disparition. Dumazedier, Ripert, Loisir et culture,1966, p. 302.

J’enregistre plusieurs fois par jour ce que j’entends depuis la fenêtre de mon appartement, les oiseaux dans les jardins, les conversations des voisins, les cris des enfants jouant, les annonces lointaines des trains de la Gare de l’Est. Ce soir à 20h ma voisine infirmière accueille tous les applaudissements des immeubles environnants pour elle en criant merci à tue-tête.

« Ce n’est pas moi qui suis concerné, c’est l’autre. » L’enfer c’est les autres. C’est toujours la faute des autres.

Travailler à distance, dans le rythme des tâches à accomplir, la concentration nécessaire pour y parvenir, réussir à penser ailleurs, laisser son esprit divaguer et éclaircir ses idées pour y voir plus clair.

Cela ne correspond pas à la réalité. Un écart entre ce qui est dit et la réalité. Ce qui ne se voit pas n’existe pas. L’impalpable est irréel.

Ce matin dans la rue j’entends quelqu’un dire au boulanger avant de sortir de sa boutique : « J’ai l’impression de vivre dans une salle d’attente. »

Voir une ville vide, réellement vide, ses rues, ses avenues désertes, ne me fait pas peur, au contraire même je trouve ça rassurant, car cela renforce l’idée d’un cloisonnement nécessaire. Jusqu’où peut mener le désir de voir, lorsqu’il s’exerce sans limites ?

La possibilité d’anticiper l’évolution d’une épidémie, qui par nature peut paraître invisible, irréelle, n’est envisageable que par le biais d’information claire, sans ambiguïté, et non des annonces contradictoires ou timorées aux effets pervers, qui donnent le sentiment de naviguer à vue, de masquer la réalité d’une catastrophe prévisible et de contraintes incontournables.

« L’invitation à se cultiver est l’autre violence qu’on reçoit en plus de celle d’être contraint à rester nuit et jour dans le même jour, la même nuit. » [1]

Flaubert écrit : « Toute chose est intéressante, il suffit de la regarder suffisamment longtemps. » L’inverse est vrai.

L’orchestre vide est la traduction du mot « karaoke ».

Se rappeler de l’étymologie du mot crise qui en grec krisis signifie décision, jugement, faire un choix. Il serait temps de reconstruire ce monde autrement.

On n’est pas là pour disparaître. La résistance s’organise.


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