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Les départs envisagés et les retours espérés

Cette expérience est un jeu de l’enfance. Se cacher derrière quelqu’un et parler à sa place, lui demander de bouger les lèvres sans prononcer un mot tel un ventriloque, d’articuler en silence, de parler dans le vide, en accompagnant cette pantomime de gestes discrets soulignant ce qu’il dit. Personne ne parle vraiment sans bouger les mains, même de façon imperceptible, discrète. Et parler à sa place. Pour celui qui assiste à ce spectacle, sans soupçonner l’astuce, la mascarade, la tromperie en forme de dissimulation, l’effet est étrange. Les sens associés sont moins aiguisés, l’œil se repose sur l’oreille, l’oreille soulage le regard. Ce qui explique qu’on ne ressent aucune gêne à regarder des films étrangers en version française, leurs dialogues viennent se synchroniser avec le mouvement des lèvres des acteurs qu’ils doublent. Le trouble survient au moment précis où le doubleur apparaît. Son corps tout à coup désincarné, comme si sa voix venait nous envoûter avec son parfum versatile.

Dans Lola, le premier film de Jacques Demy, le personnage interprété par l’actrice Élina Labourdette est une femme vivant seule à Nantes avec sa fille Cécile, une adolescente de quatorze ans. Quand, pour trouver un dictionnaire anglais pour sa fille, elle rencontre par hasard dans la librairie où elle a ses habitudes, Roland Cassard, un jeune homme qui lui propose de lui offrir son livre. Elle accepte sensible à son offre, son charme opère et elle l’invite à manger dans son appartement, avec la complicité de sa fille, puis cherche à le revoir. C’est une très belle femme, mince, élégante, d’allure classique. Mais il y a dans sa voix, une sensualité inattendue, surprenante, qu’on a du mal à expliquer. Cette voix, c’est une évidence, est celle d’une autre femme. La chaleur de sa voix traînante, son grain un rien fragile, langoureux, son débit lent comme ensommeillé, sensuel et grave, est celui de Grace Kelly dans La Main au collet d’Alfred Hitchcock. L’actrice a doublé le film en français.

Le Passage Pommeraye à Nantes

Pourquoi est-ce tellement fort un premier amour ? je vous le demande. Ils sont enfermés dans des espaces où ils ne peuvent être que le reflet de leur passé. À l’image, chaque fois qu’apparaît la silhouette fragile de l’actrice américaine, elle se surimprime à celle d’Elina Labourdette, leurs voix se mêlent indistinctement. On part pour Marseille, on se retrouve en Argentine. On écoute Madame Desnoyers, on entend Frances Stevens. Celle qui dit bientôt, bientôt, et qui sourit dans votre dos, tout enfoncée dans ses pensées d’espoir, si vous les connaissiez, un énorme espoir insensé. Il n’y a pourtant qu’elle a l’écran. Les personnages et les répliques se reflètent, mais les lieux sont bien plus qu’un hommage à la ville de Nantes, ils prennent une valeur symbolique. Mais sa voix se dédouble, lorsqu’elle joue ce rôle il s’enrichit de ses précédents personnages et les convoque tels des spectres sonores. C’est la première fois et, si ça se représente, ça ne se représente plus de la même façon.


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