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Contacts successifs #69

Dans cet état de veille, complice en secret du lieu qui l’accueille

Souvenir de ces dimanches en famille où nous partions marcher après manger, encore lourds d’un repas qui s’était prolongé dans l’après-midi, sans savoir où nous irions, encore indécis, nous éloignant doucement de la maison, pas traînants, ralentis, un peu las, repoussant ce moment où le chemin se séparerait en deux, nous offrant dans cette opportune ouverture un choix à opérer enfin, nous déterminant au dernier moment, désinvoltes, la voie que nous allions suivre. Une improvisation à ciel ouvert dont je retrouve le même élan à la fois distrait et détaché, dans cette promenade qui cet après-midi là prolonge l’Assemblée Générale de L’aiR Nu, où nous décidons de faire un tour sans idée préalable, à la découverte nonchalante des rues du quartier dans lequel se trouve le local de l’association, dans la perspective de découvrir en avant-première le cadre des prochaines balades que l’association souhaite créer à cet endroit. Le dimanche certains quartiers ont en ville des airs de village de province. Je retrouve chemin faisant les discussions de mon enfance, entrecoupées en fonction du rythme de l’avancée de chacun, passant d’un groupe à l’autre, d’une discussion à la suivante, sans jamais en terminer une seule, favorisant plutôt la permutation des échanges, en lançant simplement au passage quelques signes amicaux, clins d’oeils et sourires en coin, nouvelles des uns, projets des autres, blagues et silences complices.

Paris 16ème, 15 septembre 2024

Nos présences fantômes

La veille de notre départ d’Athènes, en mai 2022, nous avions réalisé Caroline et moi qu’un tournage débutait à une cinquantaine de mètres de notre appartement, rue Leonidou, à cheval sur les quartiers de Metaxourgieo et de Kerameikos. La ville est un décor de cinéma à ciel ouvert. Ce qui nous surprit ici ce fut de ne le réaliser qu’en voyant les affiches qui l’annonçait sur les murs alors que cette impression nous accompagnait depuis notre arrivée sans parvenir à l’exprimer ouvertement. En fonction du lieu bien sûr les films tournés sont très différents. L’histoire de la série de Cédric Klapisch, Salade grecque, s’intègre parfaitement à ce quartier d’Athènes. Peut-être un peu trop même. Tout se déroule autour d’un immeuble situé dans la fiction dans la rue où nous logions. En fait tout ce qui se déroulait dans la rue était filmé sur place. Par contre l’immeuble qui est au coeur de l’intringue est situé dans un autre quartier, sans doute du côté d’Exárcheia. On a presque l’impression que la série est une décalcomanie de la rue. La ville est un décor que le film décalque. Et quand on a vécu dans ce lieu, soudain l’impression d’être un personnage de film coupé au montage. « Les romans et les films ajoutent des pièces à nos appartements, écrit Anne Savelli dans Lier les lieux, élargir l’espace, des dépendances à nos lieux d’écriture. Ils secombinent entre eux pour créer des espaces qu’il nous revient, plus tard, d’essayer d’investir. »

La peur d’un nom ne fait qu’accroître la peur de la chose elle-même

Au téléphone, une femme veut inscrire sa fille à un atelier des Petits débrouillards sur la pollution sonore proposé par la bibliothèque. Au moment d’enregistrer le nom et le prénom de l’enfant, la mère me précise que sa fille n’aime pas trop son prénom et me demande si je suis obligé de le noter. Je lui réponds en souriant que sa fille peut en choisir un autre si elle le souhaite. J’entends la mère se tourner vers sa fille pour lui demander, Tu veux qu’on écrive Lilly, ma chérie ? Après un court silence, la fillette répond avec une détermination infaillible, non je préfère : Hermione !

Casablanca, Maroc, 20 février 2020

La mémoire des lieux

Cela fait huit ans que je ne suis pas revenu à Melun où j’ai travaillé pendant vingt ans. J’ai repoussé plusieurs fois le moment d’y retourner sans trop savoir pourquoi je ne parvenais pas à trouver le moment propice. Mes anciens collègues me manquaient cependant, il m’arrivait de rêver que je marchais seul au milieu des collections, traversant tout l’étage d’un seul tenant, entre les rayonnages chargés de livres et d’autres supports, dans le silence du bâtiment fermé à cette heure-là. J’ai été ravi de les revoir, de discuter avec eux, de découvrir comment ils avaient réussi à transformer le lieu (l’Espace Culture Multimédia de la médiathèque de l’Astrolabe) que je gérais avec eux et de faire en leur compagnie un tour dans les différents étages, y compris les services internes. J’avais une forme de nostalgie de ce lieu qui longtemps m’avait empêché d’y revenir. À mon arrivée en 1996, ma première place après mon objection de conscience de 20 mois à la Bpi du Centre Georges Pompidou, je ne comprenais pas qu’on puisse vivre dans une ville repliée sur elle-même, loin de tout (mes heures de transports avec le RER D sont pour beaucoup dans mon aversion), ville peu attrayante, à la forme éclatée. Mais je travaillais dans un endroit magnifique, sur l’ïle Saint-Étienne, en bord de Seine, dans une médiathèque innovante, entouré par une équipe dynamique. Je ne regrette pas d’être parti, mais je sais pourquoi j’ai tant tardé à y revenir. Je voulais y retourner hors événement, en semaine, dans ces moments calmes où ce type d’endroits peut nous permettre de faire remonter tous les souvenirs liés, les laisser affleurer lentement, à la manière de ces rêves qu’on traverse, dans le silence et le vide de lieux à l’abandon, ce qu’ils ont à offrir qui ravive en nous l’envie d’y revenir.


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