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Contacts successifs #79

Ce n’est ni le lieu ni l’heure

Pour filmer, il faut sortir de chez soi. Pour sortir de chez soi, il faut du temps. Pour avoir du temps, il ne faut pas travailler. En cette fin d’année, au travail, les tâches s’accumulent ne me laissant que peu de temps. À chaque fois que je peux sortir, le temps maussade, le ciel gris, m’en empêche, il y a si peu de lumière et le froid est glacial. Je reste enfermé à la maison pour travailler sur la correction d’un texte écrit il y a plusieurs années déjà que je ne parviens pas à terminer. Trouver la sortie du tunnel creusé par le texte. Cela prend un temps fou de tout relire, reprendre, corriger, remanier, modifier certains passages, réunir l’ensemble de ces fragments disparates pour en faire un livre. L’habitude de la difffusion en ligne éloigne de la publication en livre. Lorsque je relève la tête de mon ordinateur, la journée n’est pas encore terminée mais la nuit déjà tombée. Le temps file. Je ne prends pas de photo, je ne filme pas, car je ne sors pas. Chaque jour sans filmer retarde un peu plus le moment de filmer à nouveau. C’est l’hiver qui veut cela. La lumière de l’hiver. Je vais filmer la nuit, les lumières de la ville. Comme chaque année au mois de décembre.

Pont Maria-Casarès, Paris 10ème, 4 décembre 2024

Et le crépuscule, les rêves et la vie

Dans la conversation familiale, un fil de discussion sur Messenger où chaque jour, et parfois plusieurs fois par jour, nous échangeons Caroline et moi avec nos deux filles, de manière informelle, évoquant notre quotidien, échangeant des bons plans, des images et des souvenirs, parfois des questions, des conseils de films, musique, livres, des recettes de cuisine, Alice évoque son Empire Romain, cela a commencé il y a quelques mois, pendant l’atelier de Marine Riguet à la bibliothèque François Villon, l’Empire Romain, c’est ce qui nous entête, ce qui nous obsède, tous les jours, malgré nous, ce dont on n’arrive plus à se séparer, et elle nous demande à chacun d’entre-nous quel est le nôtre. Je réponds le Livre de sable, comme dans la nouvelle de Borgès, d’un livre infini, sans début ni fin, auquel je pense tous les jours, qui m’obsède. Un livre qui contient tous les livres comme la Bibliothèque de Babel. Ce livre c’est celui que j’écris mais qui se transforme sans cesse, versatile.

Des envies de marcher dans le froid

Le froid ne quitte jamais l’air, ces matins où tout semble calme. Je suis entouré d’objets immobiles, d’un silence gelé. Dans la maison, tout semble attendre. Quelquefois, je suis avec ce froid qui ne m’appartient pas, mais il s’accroche à moi. Il est là, cinglant, il s’insinue dans tous mes gestes, dans mes pensées, comme une présence imposée. Je suis glacé, une ombre figée. Ce que je cache, le froid le révèle, ce que je tais, il l’expose. Je marche contre le vent, dans une nuit où rien n’arrive. Je suis ce froid qui traverse, une raideur dans l’air. Je suis dans le souffle que j’expire, dans la buée qu’il laisse derrière moi. À chaque mouvement, le froid me divise : je suis dans ce qui disparaît, dans ce qui persiste, traversé de courants, d’hésitations, tandis que le monde continue sans moi.

Athènes, Grèce, 8 mai 2022

Le grand mouvement nécessaire des choses du monde

C’est dans le mouvement que je commence, je commence à parler, à dire, dans cet élan. Les mots surgissent comme des grains de sable qui se compactent en phrases. Ce que je dis avance et vacille, mais je ne peux pas m’arrêter. On ne peut pas arrêter ce qui a été lancé. On ne peut pas arrêter la machine qui tourne. Une fois enclenchée, elle avance, elle traverse les formes et les gestes. On ne peut pas stopper le mouvement du monde, ce mouvement qui nous dépasse, nous entraîne avec lui. L’homme tente, pourtant, il change la forme du monde, il modèle le monde à son image, il le détruit également, mais sa substance profonde ne se modifie pas. Ce mouvement régit tout, les mots comme les gestes. Les mots sont portés par les gestes. On avance, incapable de faire demi-tour, incapable de revenir en arrière. La beauté, alors, n’est pas dans l’arrêt, elle est dans le mouvement. La beauté de voir le monde s’écouler, de le voir vibrer. La vibration appelle la vibration, elle rebondit, voyage entre les gens. Une ligne devient un nœud qui se transforme en un enlacement de lignes. Et dans cet enchevêtrement mouvant, les gens entrent en résonance, en vibration, avec les gestes, avec le monde qui ne s’arrête jamais.


LIMINAIRE le 16/12/2024 : un site composé, rédigé et publié par Pierre Ménard avec SPIP depuis 2004. Dépôt légal BNF : ISSN 2267-1153
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