Pas encore d’ici, plus jamais de là-bas
Il y a quelques années, j’ai commencé à écrire un livre autour Bilal Berreni, alias Zoo Project, artiste urbain né en 1990 à Paris et mort assassiné le 29 juillet 2013 à Détroit. Après plusieurs versions du texte, faute de parvenir à trouver la forme d’un récit où parvenait à se mêler harmonieusement portrait de l’artiste, récit de sa trajectoire et parcours dans la ville à la recherche des dernières traces de ses œuvres encore visibles sur les murs parisiens, j’ai finalement mis de côté ce projet. En promenade dans le 20ème arrondissement, j’ai traversé le quartier Saint-Blaise où a l’artiste a vécu ses jeunes années et où je crois vivent encore ses parents. Sur le mail, à l’angle de la rue du Clos et de la rue Saint-Blaise, zone qui porte désormais le nom de place Bilal Berreni, une plaque lui rend hommage. À cet endroit précis, sur le mur aveugle au-dessus du restaurant chinois le Mandarin Saint-Blaise, la peinture de Zoo Project réalisée autour 2009 a été recouverte de peinture blanche. Il ne reste que la partie haute de la figure de son homme à tête d’oiseau et de son titre initial Saint Blaiz Zoo la mention Saint demeurant encore visible comme un signe paradoxalement révélateur.
La matière de notre lien
Tendinite du bras gauche. Allongé sur le dos sur la table, le masseur commence à étirer mon bras vers le haut. La douleur est aiguë. Je sens une pointe vive dans le haut de l’épaule. Sous la peau le muscle s’échauffe. Dans la durée la douleur s’atténue, on dirait qu’elle s’émousse même si elle n’est pas vraiment moins intense, seulement le corps s’habitue peu à peu. La douleur se dilue dans la durée de l’étirement. Le bras en arrière doit opérer d’amples moulinets. De plus en plus grands. De plus en plus loin. Il peine à y arriver. J’entends la respiration du masseur qui s’accorde au rythme de la mienne. Je ne ferme pas les yeux, mais je fixe le néon au centre du plafond au point de ne plus rien voir. Pour ne plus rien ressentir. Sauteur hors du temps.
Coup de fouet
Je connais cet homme. Je l’ai déjà vu. Je ne me souviens pas où ni quand. Tout va très vite. Je le croise dans l’allée de mon immeuble. Il sort du parking souterrain. Il arrive déjà à ma hauteur. Nous nous saluons. Dans son sourire, je suis persuadé qu’il m’a reconnu. Pourtant, c’est la première fois que je le vois là, dans ma résidence. C’est sans doute la raison pour laquelle je ne parviens pas tout de suite à retrouver d’où je le connais, tout en étant persuadé que nous nous sommes déjà vus, côtoyés, il y a plusieurs années déjà, mais sans parvenir à retrouver ni le lieu ni la période où cela a pu arriver. Tout s’embrouille. Je ne m’attendais pas à le voir là, à proximité de chez moi. Je crois me souvenir qu’il travaillait dans le quartier, serveur dans un café ou dans un restaurant. Que je le voyais souvent. Qu’il a quitté le quartier il y a plusieurs années. Tout devient confus à partir de là. J’en parle à Caroline qui l’a connu j’en suis sûr. Je compte sur sa mémoire. Je le lui décris. Un homme de taille moyenne, chauve. Garçon de café. Il ressemble de manière troublante à l’acteur américain J. K. Simmons. On est souvent perplexe en croisant quelqu’un dans une situation particulière qu’on peine à identifier en un endroit différent ou vêtu différemment. Je tombe dans ce piège à mon tour.
Qui chevauche si tard dans la nuit et le vent ?
Je viens de me réveiller au milieu de la nuit. Une vieille tâche d’humidité en forme de nuage souriant. Le rêve qui n’a pas assez dormi s’obstine pour être vu. Je marche seul dans la rue. J’ai perdu la tête. Mon visage entre mes mains. Je vois mes lèvres articuler des phrases que je n’entends pas. Il faudrait lire sur mes lèvres mais c’est impossible. Attraper la foudre, couver l’incendie du contrejour. Une rumeur s’apprête à déchaîner la suite. Quelqu’un me dit ça ira mais rien ne vient. L’un et l’autre, sans aucun doute. Tous deux indissociables. Chaque fois au bord de se faire comprendre mais trop tard. Mais avec ce doute constant : cela en vaut-il vraiment la peine ?