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Contacts successifs #54

Tomber des nues

Je n’ai pas vu tout de suite le lien entre les deux événements. Dans l’entrée de notre immeuble ce sachet beige ramolli aux allures disgracieuses d’un préservatif usagé, scotché sur le montant métallique des boîtes aux lettres, avec ce mot écrit à la main qui l’accompagne, des voisins se plaignant que des importuns jettent tout et n’importe quoi depuis les étages supérieures au-dessus de leur jardinet en contrebas. Merci de bien vouloir cesser de jeter vos déchets alimentaires par vos fenêtres : Poulet, pâtes, gâteaux, pain. Au-delà du fait que ces déchets atterrissent sur ma terrasse vous empoisonnez mon chat, les oiseaux et attirez les nuisibles. Merci de respecter le voisinage, et de faire preuve de savoir-être. Le soir à la télévision j’entends parler de ce que les médias ont appelé la Guerre des ballons. En riposte aux ballons envoyés par des militants sud-coréens, transportant des tracts de propagande contre le pouvoir nord-coréen, de l’argent, du riz, des clés USB de fictions télévisées sud-coréennes ou de l’argent destinés aux personnes vivant au nord de la frontière, la Corée du Nord a envoyé en représailles près d’un millier de ballons remplis d’ordures, de mégots de cigarettes et d’excréments d’animaux par-dessus la frontière.

Paris 4ème, 4 juin 2024

La gaité me sidère

À quelques heures d’intervalle, la lumière n’est jamais la même et c’est tout le paysage qui s’en trouve transformé, parfois c’est à peine si on peut le reconnaître. Dans l’intervalle d’une journée de travail, enfermé dans une salle un peu sombre, à écouter les avis des autres lecteurs sur des textes à paraître dont il faut déterminer s’ils méritent d’être soutenus, et leurs auteurs dans leurs projets d’écriture, et les éditeurs dans les livres qu’ils publient. Chaque texte est présenté, on analyse la pertinence de la demande, le talent de l’auteur, la justesse du texte, du style. Des dizaines et des dizaines de dossiers. Il faut rester concentré tout au long de la journée. Défendre des dossiers dont on ne connaît pas, la plupart du temps, et c’est tant mieux, leurs auteurs, pour rester plus impartial. Et la joie de certaines découvertes. Des idées qu’on aurait aimé avoir. Chargés de tous ces mots, de ces émotions, de ces trouvailles, et des échanges nourris entre membres de la commission, on ressort transformé. Tête en l’air pour sentir l’air nous caresser le visage. La lumière briller de ses derniers éclats. Comprendre tout ce qu’on a perdu en restant enfermé sans voir le jour, ce qui se passe sans nous, en notre absence, en nous également, au moment de rentrer chez nous. En faisant un petit détour pour profiter de cette lumière qui bouleverse le paysage et dont on veut profiter encore un peu. Soudain la ville nous ressemble. Nous nous effaçons en elle.

Arrêt de travail

J’ai eu du mal à dépasser la panne de mon ordinateur avec son écran devenu noir en l’espace d’un instant, car quelques jours plus tard, au moment d’aller me coucher j’ai ressenti la douleur d’un nerf coincé. J’ai d’abord cru que c’était lié à une mauvaise position, et je suis allé me coucher en espérant que la nuit permettrait de faire disparaître cette sensation désagréable, mais dans la nuit la douleur a persisté et s’est développée. Au matin, après avoir très peu dormi, je ne pouvais plus bouger. Je me suis levé avec difficulté, j’ai marché en peinant à lever la jambe gauche, chaque mouvement m’envoyait des décharges électriques. Caroline m’a conseillé de consulter un ostéopathe. J’ai mis trois fois plus de temps que d’habitude pour me rendre à son cabinet situé rue du Temple. Je marchais au ralenti. Chaque pas était une lourdeur, chaque mouvement une douleur. Coups de couteau répétés dans l’arrière de la cuisse. Le retour a été deux fois plus long. Tous les gens que je croisais dans la rue me regardaient avec un drôle d’air. Je lisais le bonheur éclairer leurs yeux, la vivacité de leurs gestes, l’allégresse de leurs déplacements, les corps légers, leurs peaux nues, visages souriants, radieux, dans leur manière de se mouvoir, de glisser devant moi, de jouer avec leurs ombres, de sautiller, de sourire.

Granville, Normandie, 22 août 2021

La grande évasion

Fenêtre ouverte. Allongé sur le lit pour lire un livre. La douceur de l’air. Les conversations des voisins dans leur jardin, un repas familial qui n’en finit pas. Les voix se mêlent, les propos se confondent heureusement ne dérangeant pas la lecture du livre. Mais la fatigue se fait sentir, les paupières lourdes, l’attention faiblit peu à peu. Un voile léger. Le flot des mots venant de l’extérieur, sons qui oscillent et vibrent dans l’air sans qu’aucun sens précis n’en ressortent pour nous distraire, rencontre inopinée des lignes du livre, dont plus rien ne retient l’attention, simples lignes de mots qui se suivent, sur lesquelles on revient plusieurs fois de suite sans en comprendre le sens, glissant dessus. Vers le sommeil qui nous emporte tout doucement. Les yeux fermés la phrase s’écrit en nous dans ce texte inédit d’un rêve que personne ne saura déchiffrer. Dans la dimension concrète d’impressions diffuses. Le sens de la suggestion et de la tension.


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