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Contacts successifs #73

Une absence de point final

Les valises tournent lentement sur le tapis roulant de l’aéroport. On regarde son manège monotone, l’air hagard, les yeux fatigués, baillant, le visage terne, les vêtements froissés. Certaines valises passent plusieurs fois devant nous, personne autour de nous ne les prend. Dans le même état d’attente et d’effroi, épuisés par un si long voyage sans dormir. Sans doute est-ce les valises d’un vol précédent avant que les nôtres finissent par arriver. La lumière des néons dans l’aéroport brûle les yeux. Hâte de sortir pour rentrer chez soi, mais il faut attendre avant de pouvoir rejoindre la sortie, sentir l’air frais du dehors. En même temps, après l’épreuve de l’attente, il faudra supporter le discours insupportable du taxi pendant tout le chemin du retour, commentant l’actualité pour déverser ses rancœurs, ses coups de gueule, ses opinions politiques. Je regarde par la vitre pour tenter de m’extraire de ce flot ininterrompu de paroles. Les voitures que nous doublons, les immeubles devant lesquels nous passons, filant dans la nuit, me rappellent inexorablement le ballet mécanique des valises observées quelques minutes plus tôt à l’aéroport.

Île de Teshima, Japon, 18 octobre 2024

Un réel clandestin

Depuis notre retour du Japon, Caroline dort très mal, elle se réveille en pleine nuit et lui est impossible de retrouver le sommeil. Je dois avouer que de mon côté je parviens à me rendormir dans la nuit s’il m’arrive moi aussi de me réveiller. Je dors d’un sommeil lourd aux rêves pesants. Même s’il m’arrive moi aussi de me sentir fatigué en fin de journée, manquant de sommeil, je ne souffre pas du décalage horaire de la même façon. Comme tous les ans depuis 1975, la France passe à l’heure d’hiver ce week-end. Les dormeurs gagnent une heure de sommeil. Est-ce que cela effacera les désagréments du décalage horaire ou est-ce que cela les renforcera ?

Souvenirs fantômes

Les branches sans feuille de deux arbres qui s’élèvent dans la cour d’une école sous un ciel bleu. Les barrières grises d’un chantier sur lequel un panneau jaune indique la voie à suivre pour les piétons, au sol des marques et des lettres de différentes couleurs dessinent les travaux de conduites de gaz à venir sur le trottoir. Une rame de métro passe au loin sur le pont aérien. Le ballet aérien de deux grues au-dessus du chantier de l’hôpital Lariboisière, le soleil rasant souligne le gris des murs en béton. Un immeuble en construction s’élève dans l’ancienne dent creuse qui sépare deux immeubles anciens. Un ouvrier répare le conduit d’aération d’un immeuble fraîchement ravalé. Le reflet d’un arbre sur la vitre d’un panneau publicitaire laisse apparaître le visage d’un mannequin noir. Les feuilles des arbres se confondent avec les ombres qu’elles forment sur les devantures haussmanniennes du Boulevard de Rochechouart. Le dôme du Sacré-Cœur s’inscrit dans la perspective de deux immeubles de la rue de Steinkerque. La bouche du métro Anvers et les voyageurs qui en sortent aveuglés par le soleil. La façade blanche de l’Élysée Montmartre dans la lumière de l’après-midi. Une vieille femme fixe un long moment l’homme qui fait cuire des marrons chauds pour les vendre aux passants. Une femme tient un parapluie de couleur rose fermé au-dessus de sa tête pour servir de signe de ralliement à des touristes en goguette devant le visage de l’acteur Jude Law sur fond bleu posant pour une publicité ICON. Sur les pavés gris de la route, une flaque bordée de feuilles d’automne sur laquelle se reflète la ligne d’immeubles de la rue d’en face. Un tableau abstrait peint par un amateur abandonné sur le trottoir. L’employé de la boutique Adonis Fleurs, vêtu d’un pull jaune et rose, le rose de ses cheveux en accord parfait avec la couleur de ses chaussettes, il arrose les plantes en extérieur avec élégance et précaution.

Rome, Italie, 7 août 2010

Combat de l’instant d’avant chaque fois revenu

En rentrant à la maison, Alice me raconte sa journée de travail. Elle me dit qu’elle a dû reprendre un garçon de son foyer qui criait contre un autre, il était très violent envers lui, et rien ne semblait parvenir à la calmer, ni la patience d’Alice, ni l’encerclement de ses bras pour le maintenir contre elle et tenter de l’apaiser. Elle a lui a dit, tu comprends, je travaille dans ce foyer pour vous protéger de la violence des adultes, de la violence de l’extérieur, ce n’est pas pour que cette violence entre ici, que vous soyez vous-mêmes violents les uns envers les autres. En l’entendant lui dire ça, ses épaules se sont tout de suite détendues, il s’est vite calmé. En écoutant ma fille me raconter cette expérience récente, je n’ai pu m’empêcher de penser à la scène à laquelle j’ai assisté en rentrant du travail. Un jeune garçon prodiguait ses conseils à un autre pour se battre, donne le premier coup et frappe très fort. Puis je les ai vu s’éloigner vers un groupe d’autres garçons du même âge qui les attendait un peu plus loin. Un combat était en préparation. Je n’ai pas eu le courage de m’en mêler pour l’arrêter. J’ai poursuivi lâchement mon chemin.


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