Dans un état de suspension
L’atelier est une épreuve. Une improvisation. Un fil tendu sur lequel on marche en équilibre précaire, instable. Chaque jour, ne jamais savoir ce qui va suivre, si ce qu’on a prévu fonctionnera bien, s’il sera compris, accepté. Le temps que cela va prendre. On a beau programmer les différentes journées de l’atelier, imaginer leur évolution dans la continuité, le même piège se referme toujours sur nous. Au début, on a peur de manquer de pistes créatives, on en imagine un maximum, on parle beaucoup, on donne de très nombreux exemples artistiques, puis on en vient à la pratique. À un moment de bascule de l’atelier où le temps nous rattrape, on n’a plus le temps d’aborder certains points, ils deviennent automatiquement caduques. L’atelier trouve son rythme de croisière, sa marche singulière. Le mouvement est lancé désormais, il suffit de l’accompagner en douceur. Les doutes des débuts s’effacent peu à peu. La familiarité avec les étudiants, leurs travaux et comment ils évoluent depuis le début, apportent des réponses inattendues, des pistes nouvelles. Il faut savoir rebondir, relancer, attendre, écouter, proposer, échanger. Ici l’Intelligence Artificielle est un prétexte à travailler sur la ville et le regard que ces étudiants portent sur leur environnement. À travailler parallèlement à la création d’un récit réalisé à partir d’images et d’un texte qui évolue chaque jour, en fonction de mes différentes propositions créatives et de leurs remaniements successifs.
Digression sur le dehors
Le midi, pendant cette semaine d’ateliers, je ne peux me résoudre à rester enfermé. La plupart des étudiants restent à l’École et mangent sur place, dans la salle même où ils étudient et travaillent. Le ballet des élèves dans les couloirs étroits de l’école, qui attendent leur tour pour faire chauffer leurs plats. J’ai besoin de sortir, de m’aérer. C’est l’enchainement des jours de travail qui épuise, difficile de travailler en même temps que les étudiants, même lorsqu’ils écrivent ou produisent des images, on est toujours à l’affût de ce qui se passe dans la salle, disponible, prêt à répondre aux questions éventuelles, à résoudre les problèmes techniques, ou les aider à relancer la machine créative. La pause est incontournable. Le mieux c’est de marcher sans but, si ce n’est trouver une nouvelle boulangerie ou un restaurant. Même s’il ne fait pas beau ces jours-ci, l’air est vivifiant. Il remet les idées en place. Le sens des priorités. Prendre des photos ou filmer même si le temps est pluvieux, le ciel gris, très bas. On imagine que rien ne retiendra notre attention. On finit par percevoir une source de lumière dans un mur coloré, les feuilles jaunes d’un arbuste, découvrir une scène à laquelle on ne s’attendait pas. Traverser le Parc des Buttes-Chaumont à des heures ou une saison où je m’y rends très rarement. À la tombée de la nuit, le ciel d’un bleu profond presque phosphorescent qui transforme tout autour de lui, arbres aux branches nues, arbustes ébouriffés, vallons et dénivelés, structures des immeubles qui se découpent dans le lointain, silhouettes des passants qui s’effacent dans l’obscurité. La pluie rend le bitume luisant, dès que la nuit tombe, les enseignes tachent le sol de leur lumière, les phares des voitures forment des phrases fuyantes dont le sens m’échappe. Revenir plusieurs fois de suite dans cet endroit cette semaine, c’est une autre manière de l’appréhender, de le découvrir.
Ici, c’est la vie qui menace
Cet homme croisé ce matin, en sortant de la boulangerie dans laquelle je viens prendre mon café-croissant chaque matin, je l’entends maugréer : Je vais buter quelqu’un, aujourd’hui je vais buter quelqu’un, tu peux me croire ! Je ne suis pas sûr qu’il s’adresse à moi. Il parle droit devant lui, tout en marchant, le visage fermé. Nos trajectoires se croisent, j’entends ce qu’il a à dire sans que cela s’adresse à moi. Mais cela résonne en moi. La veille j’ai revu Éléphant de Gus Van Sant. Je retrouve dans la répétition des mêmes rituels et cette décharge de violence finale, un troublant écho.
L’attirance pour le vide est une politesse du vivant
Je ne suis pas sensible aux publicités, je dois même avouer que je déteste cela. Leur but comme leur forme me dérangent la plupart du temps. Je ne vois pas l’intérêt à ce qui est pour moi une invitation à la consommation de masse, à la dépense inutile. Il arrive cependant qu’une publicité, dans sa forme, le choix de sa musique, le jeu de ses acteurs, où le message qu’elle véhicule, parvienne à me plaire et même qu’elle me fascine. Je me souviens de cette publicité de Levi’s avec Nicolas Duvauchelle et Antoinette Sugier courant à travers les pièces vides d’appartements à l’abandon, en transperçant les murs qu’ils font exploser dans leur fol élan. Ces derniers jours, je regarde émerveillé les quelques secondes de la version courte de la publicité du parfum Chanel N°5 avec Margot Robbie qui réussit à saisir l’essence d’une histoire aussi volatile que celle d’un parfum.