Un signe de vie
J’ai écrit une lettre, cela faisait des années que je n’en avais plus écrit. Écrire une lettre ce n’est pas si différent que d’écrire un récit. Il n’y a que l’adresse qui change. Mais cela se développe un peu de la même manière. On part sur une idée qui en déclenche une autre. On emprunte un chemin qui nous amène à faire un détour, à nous éloigner un temps de la direction prise initialement, avant de retomber sur nos pieds, à retrouver l’idée du début, augmentée de ce qui prend la forme d’une digression. Et ce sont ces écarts discrets, ces pas de côté dans le mouvement de l’écriture, la tension de ce qu’on a en tête qu’il faut faire sortir avant de le coucher sur le papier, de l’exprimer en mot, pour qu’elle se matérialise pour soi et pour son correspondant. J’ai recopié sur des feuilles blanches la lettre que j’avais initialement écrite sur un cahier. Je l’ai glissée dans une vieille enveloppe que j’avais fabriquée il y a très longtemps et que j’avais gardée car j’en produisais énormément à cette époque-là (à base d’affiches recyclées), que je pliais selon un gabarit que j’avais confectionné à partir d’une chute de cliché radiologique. Je suis allé à la Poste pour acheter des timbres. Je voulais un beau timbre. Un timbre de collection. La postière a traité cette demande comme si j’ouvrais un compte à la banque, avec une déférence qui m’a surpris et flatté. J’ai collé délicatement le timbre sur l’enveloppe que j’ai glissée dans la boite aux lettres à l’extérieur.
On dirait une forêt
Pour la projection des films littéraTube qui aura lieu à la bibliothèque François Villon le vendredi 27 septembre 2024, de 19h à 21h, j’ai revu de très nombreux films sur YouTube afin de réaliser la playlist des films. Une plongée dans ce qui se fabrique depuis quatre ans environ sur Internet. Même si le rythme de création s’est très nettement ralenti depuis un an ou deux, l’ensemble forme un bel éventail de propositions artistiques, inventaire créatif dont la variété ne cesse de me surprendre. Le plaisir de cet exercice est proche de celui du montage lorsque je réalise une vidéo ou que j’écris un texte à partir de fragments de textes d’autres auteurs. Chercher le bon rythme, passer le plus subtilement possible d’un thème à un autre (la mémoire, la création, le temps, le genre, l’amitié), glisser d’une forme à une autre (journal vidéo, vidéo-poème, lecture), d’une proposition à une autre. En un mot faire dialoguer les films entre eux.
La porte manquante et la chambre perdue
C’est un rêve étrange. Les dernières images avant le réveil. Je sonne à la porte d’une maison, on dirait un hôtel fermé depuis longtemps dans une petite ville de province. Je perçois dans mon dos la lumière rouge de l’enseigne de l’hôtel qui clignote. J’ai dû l’allumer par mégarde en croyant sonner. Personne ne répond. J’avance dans un sas étroit, plongé dans la pénombre. À quelques mètres sur ma droite une nouvelle porte. Je frappe sur le montant en bois, la porte s’ouvre comme sous l’impulsion pourtant mesurée de mon geste. L’appartement est dans une obscurité inattendue. Dans l’entrebâillement de la porte, un jeune garçon trisomique pointe son visage déformé par la curiosité. Sur le seuil, je devine la présence de plusieurs autres personnes dans le fond de la pièce qui s’agitent pour voir qui peut bien venir les déranger à cette heure. L’adulte de la maison, l’air bourru, revêche, s’approche de moi en poussant les enfants qui lui barrent le passage. Je viens chercher mes bagages. Il me fait traverser le couloir sombre de la maison sous le regard curieux des membres de sa famille. L’homme allume la pièce. Le néon nous aveugle de sa lumière crue. Dans un fauteuil contre le mur près de l’entrée, je suis surpris de découvrir un vieillard grabataire qui semble dormir, sans réaction devant notre intrusion. L’homme réunit mes trois lourdes valises en laissant des traces sur la moquette bleu ciel comme des traînées blanches laissées derrière le passage des avions.
Le ridicule de la situation
Le téléphone sonne. Je décroche car je suis en charge du standard à la bibliothèque à cette heure-là. À l’autre bout du fil, une femme m’annonce qu’elle téléphone depuis la bibliothèque. Elle est coincée dans les toilettes du premier étage. Un peu surpris par cet appel inhabituel, je lui dis que je viens sans tarder. Je m’empresse de descendre à l’accueil du rez-de-chaussée chercher le passe afin de débloquer la porte. Dans les toilettes du premier étage, je devine tout de suite la porte derrière laquelle elle se trouve, j’entends des enfants pleurer derrière la paroi. Avec le passe, j’ouvre la porte. Je découvre une jeune femme enfermée avec ses deux enfants dont le plus jeune dans la poussette cesse immédiatement de pleurer en me voyant entrer les libérer.