« ...Et nous pensons que depuis quatre cents ans la conscience européenne vit sur une immense erreur de fait. Ce fait est la conception rationaliste du monde qui dans son application à notre vie de tous les jours dans le monde donne ce que j’appellerai « la conscience séparée. » Vous allez tout de suite comprendre ce que je veux dire. Vous savez tous qu’on ne peut pas saisir la pensée. Nous avons pour penser des images, nous avons des mots pour ces images, nous avons des représentations d’objets. On sépare la conscience en états de conscience. Mais ce n’est qu’une façon de parler. Tout cela ne vaut en réalité que pour nous permettre de penser. Pour regarder notre conscience, nous sommes obligés de la diviser, sinon cette faculté rationnelle qui nous permet de voir nos pensées ne pourrait jamais s’exercer. Mais en réalité la conscience est un bloc, ce que le philosophe Bergson appelle de la "durée pure". Il n’y a pas d’arrêt dans la pensée. Ce que nous mettons devant nous pour que la raison de l’esprit le regarde, en réalité est déjà passé ; et la raison ne tient plus qu’une forme, plus ou moins vide de vraie pensée. Ce que la raison de l’esprit regarde, on peut dire que c’est toujours de la mort. L’histoire qui enregistre des faits est un simulacre de mort... »
Antonin Artaud, Messages révolutionnaires