Tous les jours, souvent même plusieurs fois par jour, se rendre au même endroit, à l’évidence s’y rendre, comme on dirait à bon escient s’y abandonner, abonnés, car nous ne pouvons plus nous en passer, lieu devenu incontournable, comme nous avons besoin de ce temps là, de cette activité là, une respiration dans la journée, une parenthèse, il faut sans cesse revenir sur nos pas, refaire le chemin, vérifier que tout est bien toujours à la même place. Ce qui est impossible mais nous le vérifions à chaque instant.
C’est au bout de l’avenue de la plage, pas plus large ici qu’une ruelle, à peine suffisamment étroite pour garer sa voiture et laisser la place pour que d’autres puissent rouler au ralenti. Nous disons avant de sortir : je vais voir la mer. Plusieurs fois par jour, nous allons voir la mer, et le soir observer le coucher de soleil. Cela attire et fascine, cela rythme nos journées qui le reste du temps demeurent distendues, sans que le passage du temps se fasse sentir ou nous marque particulièrement. Ici le temps ne nous emprisonne pas comme à son habitude, il nous accompagne, nous rassure, nous calme, nous berce, nous soulage, nous apaise, nous apprend qui nous sommes, ce qu’il y a à voir, ce qu’il faut oublier, et comment le temps passe en nous.
Le temps nous libère du temps.
Ce qu’on vient chercher ici n’est pas une réponse, mais une confirmation, oui nous avançons bien dans la bonne direction, nous aimons nous confronter au spectacle sans arrêt changeant de la plage à perte de vue, de ses lumières éphémères et chatoyantes, le soleil dont la lumière, tour à tour brumeuse ou sèche, se reflète sur la grève où les flaques, à marée descendante, font office de miroirs qui ne réfléchissent que leur propre passage, aucune trace de ces instants fuyants ne s’imprime en nous, si ce n’est le lent travail d’érosion du sable, les passages évanescents des nuages dans le ciel et leurs dessins évasifs, comme leurs chaotiques échos.
Aller voir la mer nous indique la marche à suivre, nous inscrit à nouveau dans un espace et un temps qu’on croyait oubliés, mis de côté, suspendus, cela nous ancre dans un lieu que nous aimons car il nous apprend justement à aimer, à nous ouvrir aux autres, à regarder autour de nous, à écouter battre en nous comme en dehors de nous, le rythme de notre cœur, au diapason de celui des vagues s’enroulant sur le sable, sonores, en boucle répétée, à l’infini d’un mouvement sans fin.