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L’affaire du "tueur spirite de Flavin"

Chassé du pays, il se replie vers ce qui sera selon l’expression d’un enquêteur son “sanctuaire affectif.” Il vit en état de prostration, incapable de communiquer autrement que par écrit. Leur intimité n’est pas un secret pour lui. Pendant plus de quinze ans, il règne en maître sur sa propriété. “Un type froid et méprisant. Un vrai con”, déclare le forestier dont l’exploitation jouxte le domaine.

Sa carrière professionnelle, commencée dans le cambouis de la mécanique automobile, puis dans le luxe du commerce des voitures haut de gamme, s’oriente vers les transactions immobilières. "Il faisait le châtelain, mais il n’était pas net." Dès sa jeunesse, il paraît obsédé par la volonté d’incarner un personnage à la mesure des origines aristocratiques de la branche maternelle de sa famille. Il sympathise avec un technicien frigoriste. Il est passionné par les chiens de race. “C’est vrai, rien qu’à le regarder, on se tient à distance. Mais quand une des bêtes de ses voisins se retrouve chez lui ou l’inverse, un coup de fil et ça s’arrange. Il paye même le champagne et montre sa collection d’armes.”

Il enlève une parcelle pour 1,4 millions, il la revend le double. Il possède une vingtaine d’armes à feu, carabines et pistolets automatiques. Il accomplit l’étrange dernière volonté que sa femme lui aurait dictée d’outre-tombe. Il sait être infect quand ses intérêts sont menacés. Il est condamné pour violences après un conflit avec un chasseur qui aurait pénétré dans ses bois. Les deux allées conduisant à son château sont fermées par une chaîne cadenassée et le facteur lui-même n’est pas autorisé à la franchir. “Un jour, j’ai voulu faire demi-tour dans son allée”, se souvient le vétérinaire. “A peine j’y avais mis deux roues, il était au bout du chemin, fusil dans les bras”. Même les artisans qui viennent travailler sont soumis à des règles draconiennes. “Il me convoquait. Si j’arrivais trop tôt, j’attendais à la chaîne”, raconte un peintre. “Il était du genre glacial ! Il fallait travailler vite, et lui toujours derrière à surveiller.”

Il a un charme très germanique. Il se fait détester de ses voisins. Il est marié à une femme qui a suivi des études de pharmacie. Il a trois enfants qui ne vont pas à l’école. Il prend le nom de l’homme avec qui sa mère vit hors mariage. Il reçoit les agents du recensement avec une mitraillette et ne les laisse pas entrer chez lui. Il a créé une société dans le giron de l’armée de l’air et vend des avions au pilote personnel du président, des Porter Pilatus. Une flamande installée dans la région se souvient qu’il a tenté de sympathiser avec elle. “Il me faisait comprendre que, gens du Nord, nous étions différents”. Peu avant son départ, il lui a dit : "Ici, c’est tous des Nègres, mais ça ne se voit pas parce qu’ils sont blancs". Il élève sur sa propriété des chevaux de haute école : "ses hanovriennes, dix poulinières absolument sublimes", ainsi que des chiens de combat (dogues argentins, rottweilers) et chiens d’appartements (King-Charles, terriers sealyham et scotchs) trichant à l’occasion sur les pedigrees. Pour ne pas verser la part de bénéfices qu’il doit au fisc dans la vente d’une parcelle, il invente un intermédiaire. Il somme ses trois enfants de déguerpir des logements qu’il avait mis à leur disposition, et les garçons se retrouvent dans une situation difficile, vivant de vacations occasionnelles dans des restaurants ou des boîtes de nuit du quartier.

Les relations avec ses fils se détériorent encore un peu plus à la mort de leur mère. Le climat familial était “épouvantable”. Il s’inscrit avec sa femme à l’aéro-club. “Il voulait militariser le club. Sans parler de son fils, qui est venu un jour habillé en nazillon. On a fini par le virer”, se souvient le président du club, un ancien colonel de l’armée de l’air.

Il reprend contact avec le technicien frigoriste qu’il n’avait pas revu depuis son départ, afin de lui annoncer la mort de son épouse. Des gendarmes disent de lui qu’il était “replié”, “arrogant”, voire “infatué”. Il reprend le patronyme de jeune fille de sa mère au gré d’un changement d’état civil officialisé par le Tribunal de Grande Instance. Il roule en Rolls-Royce. Il se heurte rapidement à l’administration. Il téléphone à la famille du technicien frigoriste et découvre que son ancien ami a déménagé et qu’il s’est récemment remarié. Il se livre à un premier rituel macabre. Il se suicide le 12 mars d’une balle de P. 38.

“Il cultivait ce côté aristocrate à qui tout est dû”. Sa femme meurt d’une rupture d’anévrisme. Il la photographie allongée dans son cercueil. Il multiplie les procédures. Il se déguise en garde-suisse à hallebarde. Il cède un immeuble appartenant à sa mère et évalué à 4,5 millions de francs français. Il devient châtelain. On le dit violent et hautain. Il montre des photos de sa femme nue au technicien frigoriste et lui suggère lui-même de pousser son avantage. Il est convaincu d’écrire sous la dictée de sa défunte épouse.

En contrebas de son ancien château, près de l’entrée sud du domaine, à quelques mètres d’un petit étang, il ne reste plus qu’un cercle de cendres de près d’un mètre de diamètre, tout autour, des branchages secs n’ayant pas brûlé. Cinquante hectares de prés, de taillis et de futaies, le château a fière allure. Une grosse tour ronde couronnée de mâchicoulis, vestige restaurée de l’ancien château féodal. Il reste un long, un très long moment à regarder brûler un feu. Il est quasiment inconnu dans la petite communauté française. On se souvient mieux de sa voiture, une Porsche.

Dans les milieux hippiques régionaux, où on les a un peu connus, son souvenir est là encore très négatif. “Je ne suis pas étonné d’apprendre qu’il a préféré prendre le nom de sa mère, plutôt que de garder celui de son père, car cette démarche correspond tout à fait à ses prétentions nobiliaires”, rapporte un éleveur. Il loue une Opel Vectra. Il tue la femme du technicien frigoriste, trente-six ans, sa belle-fille âgée de douze ans, ainsi que le nourrisson de cinq semaines, qu’il n’avait jamais vus, le jour de la Saint-Valentin. Il dépose un kilo de gros sel dans un cercle de cendres encore fumantes.

Il a le projet d’ouvrir un restaurant sur une île résidentielle de haut standing. L’homme n’a aucun casier dans les fichiers de la police locale, et il est inconnu au consulat. Au téléphone, il évoque avec le technicien frigoriste l’étrange serment qui aurait uni les deux anciens amants et insiste pour qu’il le rompe afin que la défunte puisse trouver la sérénité au Paradis. Il ne figure pas sur l’arbre généalogique de la famille. Il est chassé par une expulsion administrative.

Il épouse une Alsacienne. "C’était vraiment un couple magnifique : elle, grande, mince, brune très élégante, et lui, un grand gaillard extrêmement courtois." Il tire au-dessus d’un président de société de chasse et de deux de ses chasseurs ; les feuilles des jeunes chênes tombent tout autour d’eux. Il conduit une BMW portant une plaque d’immatriculation étrangère et demande le chemin de la rue où s’élève la maison de la famille du technicien frigoriste.

Il laisse des messages d’adieu à ses trois fils qui vivent dans le même immeuble. Sur les murs de l’appartement, de nombreuses photos de son épouse, emportée trois mois plus tôt par une rupture d’anévrisme. Il est couché sur le ventre, il s’est tiré une balle dans la tête avec un revolver qu’on retrouve près de lui. Les policiers découvrent son corps après avoir fait ouvrir les portes du grand duplex qu’il possédait. Ils avaient été alertés par un appel des résidents de ce beau condominium, qui s’inquiétaient d’une “mauvaise odeur dans le couloir”. Selon les légistes, la mort remonte à trois jours.

C’est toujours la voix de sa femme, enregistrée sur le répondeur téléphonique, qu’on entend, elle invite les correspondants à laisser un message, la voix de sa femme décédée quelques jours plus tôt d’une rupture d’anévrisme.


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