En famille, dans un endroit de Paris que je ne crois pas connaître, nous traversons une gare, nous remontons le quai jusqu’à la partie la plus sombre de la gare, là où les voies sont les moins utilisées, peu de trains partant de là, voie de garage, surpris d’y trouver ce qui ressemble aux restes d’une fête en train de se terminer, d’une célébration de services (inauguration ou départ en retraite ?) : deux hommes en uniforme finissent leurs verres pleins de vin rouge en se levant, dans ce mouvement, le sentiment du devoir accompli se lit sur leurs visages fermés. Dans leur geste il y a de la hâte, il faut tourner la page. Nous poursuivons notre chemin. Les invités disséminés, prêts à partir, deux trois sont encore assis à table. Ils nous jettent des regards noirs parce que nous passons semble-t-il là où nous ne devrions pas.
Nous débouchons dans un endroit que je ne connais pas, une route très passante, comme celle qui traverse une colline ou une montagne en ville, avec de nombreuses voitures, fort trafic et bruits alentour, il nous faut traverser la rue, ce qui est difficile, voire dangereux. Nous courons de l’autre côté.
Des sculptures dorées, en ronde bosse, s’empilent sur le mur au-dessus de la sortie du souterrain, des œuvres d’une impressionnante beauté, dont la dimension gigantesque sur le mur lui-même très haut nous surprend, nous saisit. Elles représentent des êtres hybrides difficiles à identifier dans notre précipitation. Car nous sommes pressés, et je ne sais pas du tout pourquoi, où nous allons.
L’endroit est baignée d’une lumière rasante de fin de journée qui me plaît beaucoup.
Nous traversons malgré le danger des voitures roulant à vive allure. En face, sous la voûte, un visage sculpté aux traits vagues, je m’arrête pour le prendre en photo mais je n’y parviens pas, mon appareil ne fonctionne pas, encore une fois.
Entre temps les filles disparaissent dans la foule devenue tout à coup plus compacte, dense. Je pars à leur recherche dans un réseau d’allées étroites et sombres.
Pensant les avoir perdues de vue, dans un tournant étriqué qui se transforme en couloir, je pousse un cri terrible, puissant. Le visage des gens autour de moi me sautent aux yeux comme sous le coup d’un projecteur inattendu, figés par un flash.
Il s’agit de parfaits inconnus choqués par mon attitude et ce cri terrifiant qui semble les pétrifier et résonne dans cet espace confiné, ressemblant au dédale d’un musée, dans lequel je viens de perdre la trace des membres de ma famille.
Ce cri je l’entends très nettement dans mon rêve et il me réveille.
Au réveil, je note d’un trait ce rêve sur mon iPad avant l’aller chercher le pain pour le petit-déjeuner. En revenant, je me dis que je vais le publier sur mon site, mais au moment de trouver l’image qui pourrait l’accompagner, impossible d’imprimer celles très précises que j’ai en tête, je pourrais me dire que le texte et ses descriptions suffisent à en dessiner les contours, mais cela ne me convient pas, me frustre même.
La gare c’est celle de Paris-Lyon et ses quais marginaux (voies M ou N, c’est un signe) que j’emprunte beaucoup ces derniers jours, plongés dans la pénombre et l’odeur persistante de frites que l’aération d’un restaurant souterrain rejette impunément.
Les sculptures m’évoquent celles du Louvre, notamment celle du Héros maîtrisant un lion qui faisait partie d’un dispositif architectural et décoratif complexe du palais de Sargon d’Assyrie. Cette sculpture de plus de 5 mètres de haut représente un personnage en train d’étouffer un lion.
Le souterrain avec les voitures, c’est à Naples, le Tunnel della Vittoria qui me conduit, comme la lumière rasante jusqu’à Bastia, en Corse. Et le sens du rêve, je le comprends très bien, mais ce n’est pas ce qui retient ici mon attention. C’est plus la question suivante : comment transcrire les images précises que j’ai en tête, sans les fabriquer de toute pièce ? Que se passe-t-il si j’utilise comme j’essaye de le faire ici, des images sans lien direct avec ce dont j’ai rêvé, mais qui, dans l’écart qui s’installe entre elles et les images de mon rêve, écrivent un texte souterrain que je n’aurais pas su écrire autrement, un texte sans mot, juste un dialogue entre une image invisible décrit de mémoire, et une image qui vient d’ailleurs.
Mais peut-être ce texte n’est-il qu’une histoire inventée, les images du rêve cette femme que j’avais vu dormir sur l’un des bancs du Musée du Louvre, épuisée par sa visite.