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Contacts successifs #39

Liminaire

Pour un texte que je suis en train d’écrire, je vérifiais d’anciens textes sur mon site à la recherche d’une référence précise. J’ai repéré à cette occasion quelques erreurs, quelques problèmes techniques que j’ai dû résoudre. Mon site fête ses vingt ans cette année. Pour maintenir en état les 2000 articles du site, je dois régulièrement modifier le partage des vidéos sur YouTube qui n’est plus opérationnel, corriger quelques bugs de SPIP qui intègre des images nouvelles au sein d’anciens articles, sans que je parvienne encore à savoir pourquoi, qui apparaissent avec le temps, des liens qui ne fonctionnent plus, des images qu’il faut remplacer. C’est dans ces moments là que je réalise que mon site est une seconde maison (pas une résidence secondaire, un lieu de vie, d’une partie de ma vie dans sa dimension numérique), et comme une maison il faut l’entretenir au quotidien.

Cordoue (Espagne), 28 février 2019

Comme une vie commune

Elle vit seule dans son petit appartement. Dès qu’elle est seule elle se met à parler dans le vide, elle parle tout le temps, à tort et à travers, elle entretient une conversation avec son ami imaginaire, celui qu’elle appelle son ange-gardien. Sa voix intérieure est celle d’un homme avec qui elle dialogue au quotidien, à qui elle demande conseil, qu’elle appelle régulièrement à l’aide lorsqu’elle a peur, lorsqu’elle se demande ce qu’elle doit faire, comment elle doit réagir, quel vêtement porter, quelle attitude avoir, comment rencontrer quelqu’un. Cette voix en dehors d’elle, on l’entend également, un jour elle croit même percevoir certaines de ses intonations dans celle de l’homme dont elle tombe amoureuse, qui prononce les mêmes expressions qu’elle à plusieurs reprises, ce qui la trouble forcément. Elle ne sait pas trop comment réagir face à l’intrusion de cet homme dans sa vie, cela fait si longtemps qu’elle l’attendait et sa solitude ne lui facilite pas les choses. Pour lui aussi ce n’est pas simple. Sa voix disparaît peu à peu. C’est un autre dialogue qui s’engage. Un échange, un partage. Une vie commune.

Disparition

C’est un coup de fil inattendu, l’expression du visage de Caroline soudain se ferme, attristée, je reconnais la voix de ma mère à distance, les phrases qu’elle prononce que je devine à demi-mots, la tristesse de l’annonce, mon oncle est mort. Les circonstances viennent parachever la sidération passagère. C’est plus tard que je prends conscience de la perte, l’absence qui se creuse soudain en moi. Les souvenirs reviennent en mémoire, depuis l’enfance, qu’il est impossible de dire ici, un peu de moi qui disparaît, s’efface un peu plus. Cette faille de l’enfance qu’il cherchait à cacher par ses excès et ses plaisanteries. Je me souviens de la dernière fois où nous l’avons vus en famille, et malgré la fatigue de longs mois de différents traitements médicaux, il était bel et bien présent, moins vaillant qu’avant, amaigri, mais il était là avec nous, il blaguait moins, il ne s’emportait plus dans la discussion, ne provoquait plus comme à son habitude, une forme de résignation semblait s’être emparée de lui, mais dans son œil toujours vif, cet éclair étincelait, cette impulsion de vie, cette joie d’être parmi nous. Dans ma tristesse, je suis heureux d’avoir pu le voir il y a un mois à peine pour un repas chez mes parents, entre ses nombreux allers-retours à l’hôpital. Ces derniers temps les occasions de nous voir étaient devenues plus rares. Lors de nos dernières rencontres, je garde le souvenir sensible et tenace de la manière fervente qu’il avait, au moment de nous quitter, de me dire au revoir, en me serrant très fort dans ses bras, un peu plus longuement qu’auparavant comme s’il avait du mal à me quitter, m’embrassant avec instance, l’œil brillant, le sourire ému. Je garde intact le souvenir de ces étreintes chaleureuses.

Paris 2ème, 24 août 2023

Le propre de l’homme

Lorsqu’au début des années 1950, un comique local du nom de Bob Burns est passé dans l’émission radio de Bing Crosby, ses blagues, jugées trop inconvenantes pour être diffusées, ont enflammé le Public Studio, les gens s’esclaffaient en se frappant les cuisses. Les producteurs ont coupé les blagues au montage mais ont gardé l’enregistrement des rires. Par la suite, quand un invité moins drôle intervenait dans l’émission, ils ajoutaient ces rires vieux de plusieurs semaines à la diffusion radio. De la même manière, les premières sitcoms étaient souvent tournées devant un public, mais les acteurs rejouaient les scènes plusieurs fois, afin d’être filmés sous différents angles. Cependant, on ne pouvait se fier à un vrai public pour réagir comme il fallait : parfois les gens riaient avant la chute ou pas assez fort, parfois ils riaient trop, trop longtemps et trop fort. Un ingénieur du son de CBS a réglé le problème en insérant ou en fondant des rires supplémentaires quand une blague n’avait pas l’effet escompté. Cette technique a été baptisé « sweeting » du verbe « adoucir ». Il a construit une machine qui produisait les rires souhaités à la demande. Rires, rires enjouées, hurlements, gloussements, grognements, gros rires, rires à gorges déployée, des ohhh, des ahhh, des caquètements, des petits rires, des rires étouffés, des houla... Le but était de recréer l’ambiance d’une salle dans laquelle les téléspectateurs voudraient se trouver. Une invention visant à rendre l’irréel plus réel ou tout au moins plus reconnaissable. [1]

[1Seek You : Un voyage dans la solitude contemporaine, Kristen Radtke, Helvetiq, collection Constellation, 2023


LIMINAIRE le 21/12/2024 : un site composé, rédigé et publié par Pierre Ménard avec SPIP depuis 2004. Dépôt légal BNF : ISSN 2267-1153
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