Des mots, il y en a toujours trop. Je me suis renseigné. Il faut de la méthode à ma folie. Laissons : « labyrinthe ». À chaque dictionnaire des mots manquent qui se trouvent dans un autre. Qui lit encore le dictionnaire ? À chaque page, je suis sidéré de constater à quel point les mots que j’ignore sont nombreux. Le noir des mots, le noir des lettres. De vieux souvenirs me reviennent. Chaque souvenir en appelle un autre. Un simulacre se substitue souvent au souvenir avant de finir par l’évincer tout à fait.
Tout reprendre à partir de rien.
Quelque part quelqu’un.
La ville dans l’étrangeté quotidienne de ses paysages, de ses flux, de ses hasards. Le temps et ses nuances infinies. J’ai voulu oublier. Je suis tombé dans un trou. Dans un trouble profond. J’aperçois quelque chose qui ne demande qu’à devenir visible. Une page blanche comme une nuit qui se tourne. Variations incessantes de la lumière selon les heures du jour. Une image nouvelle qui se substitue à l’image ancienne. Demi-teintes des jeux de lumière, des ombres à la tombée du jour. Impossible de détourner le regard.
Quelqu’un, c’est quelqu’un de facile à vivre
Quelqu’un ne déparle pas depuis ce matin et maintenant voudrait s’arrêter
Quelqu’un veut atteindre quelque chose
Quelqu’un et un autre quelqu’un s’entr’empêchent
Quelque chose détermine quelqu’un et quelqu’un télécommande quelqu’un et il s’ensuit que quelqu’un n’est plus quelqu’un comme autrefois
Il est égal pour notre repos que quelqu’un ne soit plus quelqu’un ou du moins le quelqu’un qu’il avait coutume d’être et de présenter aux regards des voisins
Quelqu’un est difficile sur la poésie des autres
Quelqu’un est trop sensible pour aimer, ça lui fait mal
Quelqu’un, pour lui l’amour ce n’est qu’un entre-deux
Quelqu’un, pour lui l’amour ça prend la place de mieux
[1]
Le hasard se transforme en nécessité. Apprendre à voir c’est apprendre à soustraire le regard à ses habitudes. Il n’y a pas d’harmonie entre le dedans et le dehors. Il faut supprimer pour y parvenir la distance, descendre dans la rue, marcher au hasard des rues, s’égarer jusqu’au vertige, fendre la foule des inconnus, des passants anonymes et se perdre sans limite dans un monde devenu sans repère. S’arracher aux significations est la seule issue. Cette précaution-là aussi est inutile. Sous le signe de l’inconnu et de l’inquiétant.
J’ai du mal à imaginer la suite.
[1] Henri Michaux, Quelque part quelqu’un, Éditions Gallimard, 1929