Avec tes amis du théâtre tu avais diffusé des dizaines d’affiches signalant la disparition d’une jeune femme dans les rues de Paris. Une affiche en noir et blanc, avec photographie d’un visage de face et avis de recherche, placardée dans différents quartiers. La photographie d’une certaine Sarah Vautier, sa description, la date de sa disparition, le 21 septembre, un numéro de portable et une mention : Aperçue pour la dernière fois à la Gare de Lyon. Un détail clochait pourtant, sa profession était mentionnée : actrice. Quand on appelait le numéro, on accédait à la messagerie d’une certaine Léa qui ne nous rappelait pas. Les faits n’avaient pas été signalés à la police, des avis similaires de personnes différentes étaient apparus cependant dans d’autres arrondissements avec le même numéro de portable. Dans le 10ème, le prétendu disparu était régisseur, dans le 12ème, guitariste et dans le 20ème technicien lumière. Vous espériez sauver le régime des intermittents avec ce faux jeu de rôle.
Le rythme de mon cœur s’accélère en le voyant là, ce parfait inconnu, penché sur son téléphone portable, je l’observais de loin, mais en m’approchant de lui qui tapote à la hâte sur les touches de son téléphone pour appeler un numéro, j’ai remarqué l’affiche collée sur le lampadaire près duquel il se tient légèrement courbé, concentré, à la tâche, je n’ai pas pu m’empêcher de faire le lien, de rapprocher son geste avec cette image à ses côtés, alors qu’ils n’ont rien à voir ensemble. Il termine de composer son numéro, je peux deviner d’où je suis, à distance malgré tout, les chiffres sur lesquels ses doigts pianotent, 8... 7... Le visage de la jeune femme sur l’affiche, photographie prise au photomaton pour sa carte d’identité ou son passeport. 2... 5... Elle ne te ressemble pas, elle non plus je ne l’ai jamais vue, mais je me sens proche d’elle, de son image qui flotte au vent, à l’abandon. Je pense à toi et tu disparais à nouveau comme à chaque fois que ces images surgissent en ville.
Je me souviens de certains avis de recherche pour lesquels la police utilisait un logiciel afin de vieillir artificiellement la photographie des disparus. Découvrir un visage tel qu’il pourrait être de nombreuses années plus tard. Se projeter dans l’image de ce visage futur, ainsi transformé, comme il arrive parfois que nous nous demandions à quoi nous ressemblerons plus âgé. Cette technique scientifique de vieillissement par ordinateur est basée sur une large collecte de photographies des proches, parents, frères et sœurs, grands-parents, qui fabrique ainsi un portrait inventé, à venir, à l’aide d’un algorithme et de probabilités, qui détermine ce à quoi pourrait ressembler cette personne disparue. La photographie vieillie s’apparente davantage à un portrait robot qu’à une technique infaillible. Difficile de prévoir la taille que fera un enfant, sa physionomie, son poids ou encore sa coupe de cheveux. Il peut être marqué par ses conditions de vie ou des aléas qui restent imprévisibles.