Vendredi 23 mars 2018
Je rentre en nageant à la maison
Une peinture désenchantée de l’Amérique

Dans le film The Swimmer, réalisé par Frank Perry, Neddy Merrill (interprété par Burt Lancaster), fait sa réapparition surprise dans la piscine d’un couple d’amis après une longue absence. Au fil de la conversation, il réalise qu’il lui est possible de nager de piscine en piscine jusqu’à sa maison et décide de relever le défi : « I am swimming home » devient alors le leitmotiv du film. Je rentre en nageant à la maison, lance-t-il avant de réaliser son insolite projet, cette idée saugrenue lancée comme un défi. [1]

The Swimmer est une peinture désenchantée de l’Amérique de la fin des années 1960, sur les mirages d’un monde bourgeois superficiel, aseptisé, basée sur l’apparence et les faux semblants, la critique du culte immodéré de la réussite sociale, du luxe délirant, du consumérisme superficiel.

Dans L’Arrangement, d’Elia Kazan, le personnage interprété par Kirk Douglas, Eddie avoue peu de temps après son accident : « Ce que je n’aime pas, c’est la personne que je suis. Mais je sais que je ne changerai jamais ».

Si L’Arrangement est l’histoire d’un homme qui déteste sa vie, regrette ce qui a été et ne sera plus, The Swimmer est son envers : l’histoire d’un homme qui aime sa vie sans se rendre compte que celle-ci est derrière lui, qu’elle n’existe plus, qu’elle n’est plus qu’un lieu abandonné, avançant dans le déni de ce qui l’entoure, de ce qu’il est devenu.

Si les deux films ont de nombreux points communs, leur forme est très différente.

Les immersions aquatiques du nageur sont autant de voyages à travers la mémoire et le temps, et dévoile par bribes les blessures et les échecs d’une vie. Chaque piscine est une étape de son parcours qui lui permettent de s’isoler, de rester dans son rêve, de se maintenir isolé dans sa bulle, mais il lui faut entre deux plongeons se confronter à ses amis, ses voisins, ses anciens collègues qui le ramènent irrémédiablement à la réalité. Sa tentative de retour au source se transforme alors un véritable chemin de croix. Le rêve échoue car il ne peut fuir ce monde auquel il appartient comme il ne peut échapper à son passé, à ce qu’il est devenu.

Plonger dans une forêt dont on émerge, dénudé, tel un homme sauvage, ce à quoi idéalement on aspire : retourner en arrière.

Remonter le temps pour tenter de retrouver sa vie d’avant, d’avant le drame, d’avant la chute. L’enfance et l’innocence qui y sont attachées deviennent pour lui un horizon à atteindre, des souvenirs jeunesse reviennent en mémoire, souvenirs idéalisés d’un monde qui s’est volatilisé sous ses yeux.

Remonter la rivière jusqu’à sa source, c’est remonter le temps, c’est retrouver la pureté dans un monde en déliquescence. Quitter l’espace protecteur de la forêt matricielle et tenter de traverser ce monde auquel on a appartenu mais qui nous est devenu étranger.

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