
Derrière chaque visage, il y a des visages qui passent comme les silhouettes passent derrière un écran, avec le temps qui court, au galop, échevelé d’effroi, puis ces visages se déploient les uns au-dessus des autres, les yeux en creux, synonymes d’incandescence ou parfois d’absence.
Virginie Poitrasson, Tantôt, tantôt, tantôt, 2023
Ce moment de la rencontre
On n’a rien trouvé de mieux pour l’instant. Je ne sens pas la présence du fantôme. Cette transaction impalpable du secret. La route serait longue et semée d’embûches. Toute reconstitution implique quelque chose que l’on gagne et quelque chose que l’on perd. Avec un seul mot d’ordre, ne pas la perdre. Dans les particules de poussière. Il y a un tressaillement, l’ombre d’une crainte, une méfiance irraisonnée. À la fin, il s’agirait de savoir quel est ce spectre qui nous hante ? Tout ce qu’on fait, tout ce qu’on défait. Tout ce qu’on laisse défaire. J’espère au moins dans le clair-obscur. Sinon, dans l’obscurité. Le silence et le murmure des alizés dans les branches. C’est sans doute ici l’intersection du temps avec le temps lui-même. Vous vous doutez bien qu’aucun détail n’a été négligé. Ce n’était plus que dans les profondeurs qu’il paraissait battre avec sa cadence de toujours. C’était hier, c’était si réel, et ça semble aujourd’hui si loin, tellement irréel. Ce moment de la rencontre où la curiosité l’emporte sur la peur. Mais j’avais assez peur de l’intérieur pour oser affronter l’extérieur. Il faudrait un mot pour ça, genre entre traverser et transpercer, pour dire “te rendre transparent” à mesure de passer en toi. Il suffisait de trouver les bons mots. Il y avait comme un parfum d’adieu. Une limite avec le monde extérieur, protectrice et joyeuse jusqu’à l’excès. Mais quelque chose est en train de changer. On a peur comme on respire, comme on vit. Il y a un monde caché du monde. Comme s’il n’y avait pas à regarder hors de soi pour laisser faire le temps. Mais chaque chose en son temps. Parmi toutes ces ombres, il y en a une étrange, mouvante, inaccoutumée. Imaginer nager jusque là-bas. Avant de plonger dans une étendue d’eau remuante qui absorbait tout l’espace, réduisant le ciel à une simple ligne. Dans ce précipice humide. On s’arrache à une chose et on les emporte toutes avec soi.