La nuit, les enseignes lumineuses qui hantent nos espaces urbains mobilisent et nourrissent nos imaginaires, elles nous informent sur la ville et ses habitants. Elles racontent l’histoire d’un quartier, d’une communauté, d’une zone commerciale. Elles illuminent la ville.
Dans l’essai Les enseignes lumineuses – Des écritures urbaines au XXe siècle édité chez Bayard dans la collection : Le rayon des curiosités, qui cherche à mettre en lumière une anthropologie de l’écriture du monde contemporain, Philippe Artières insiste sur le fait qu’il existe non seulement une raison graphique de l’enseigne lumineuse au XXe siècle mais aussi un pouvoir d’écriture qui imprime à nos vies des façons de penser et d’agir.
Avec l’histoire des enseignes lumineuses se déploie en creux des pans de notre histoire contemporaine. Celle d’une invention, de ses acteurs, d’un petit commerce mais aussi d’un imaginaire du XXe siècle. Faisant la preuve, si besoin était, qu’il n’est pas d’objets accessoires ou anecdotiques en histoire.
Philippe Artières co-anime avec les sociologues Jérôme Denis et David Pontille, un blog dédié à de« petites enquêtes sur l’écrit et ses mondes » : Scriptopolis qui s’intéresse à des formes d’inscription aussi variées que les tatouages, les banderoles ou les graffitis.
Dans sa correspondance Victor Hugo écrit : « Où il n’y a pas d’église, je regarde les enseignes. Pour qui sait visiter une ville, les enseignes ont un grand sens. »
J’ai déjà évoqué le charme et le pouvoir d’envoûtement de cette ville Corse où j’aime retourner régulièrement.
En me promenant dans les rues de Bastia, au cœur de l’ancienne ville, dans certains quartiers qui sont en pleine restructuration, coincés entre le Vieux-Port et la Citadelle, dans les rues de l’îlot Gaudin–Letteron, quartier en train d’évoluer et dont le décor se modifie très lentement, de nombreux commerces sont toujours à l’abandon pour certains parfois depuis près de vingt ans. Leurs devantures s’encrassent, se noircissent avec la pollution des voitures.
Les petits magasins sont de plus en plus sous la pression de l’économie, des grandes surfaces en périphérie et des franchises qui envahissent et uniformisent les centre-villes. La disparition de ces petites entreprises transforme progressivement le visage de certaines villes. Un travail de recensement et de mémoire typographique, comme l’a fait notamment Ed Fella dans les années 1960 en explorant la typographie et le paysage américain, serait nécessaire, pour garder trace de la richesse de ce vocabulaire visuel, de ce patrimoine urbain.