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Ne pas trouver son chemin dans une ville

Ne pas trouver son chemin dans une ville, ça ne signifie pas grand-chose Mais s’égarer dans une ville comme on s’égare dans une forêt demande toute une éducation. Il faut alors que les noms des rues parlent à celui qui s’égare le langage des rameaux secs qui craquent, et des petites rues au cœur de la ville doivent lui refléter les heures du jour aussi nettement qu’un vallon de montagne.

Ne pas trouver son chemin dans une ville, ça ne signifie pas grand-chose. Dans une société marquée par la prolifération d’images et de sons, comment trouver son chemin sinon dans le jeu et l’appropriation de ces éléments ?

Dans une ville précise, dans un quartier précis. Comme on s’égare pour mieux recommencer. Se tromper, s’égarer, le mot vient du vieux français errer qui d’ailleurs signifie voyager. Comme on s’égare pour mieux recommencer. Le moment est arrivé. Et s’en aller. Loin, très loin. Comme on revient toujours. Comme on revient vers soi enfin... Alors que faut-il faire ?

Shinjukunishiguchi, Tokyo, Japon (Google Street View)

Ne pas trouver son chemin. L’enchantement de l’espace ne naît-il pas de ce paradoxe qui donne la proximité des lieux aimés la faculté de nous transporter ailleurs que là où nous avons coutume d’être et nous convie vers un lointain à peine discerné mais qui résonne comme un appel ? Un appel lointain.

Ne pas trouver son chemin dans une ville, ça ne signifie pas grand-chose. Mais s’égarer dans une ville comme on s’égare dans une forêt demande toute une éducation. De nombreuses rues portent des noms d’arbres, de fleurs et d’oiseaux. Qui se cache derrière le nom de nos rues ? Jamais le langage n’a été aussi méprisé qu’aujourd’hui, traité comme quantité, et donc quantité négligeable, soustrait au mouvement général de la société, remis dans une annexe parfois luxueuse mais peu fréquente, absent même des lieux où il devrait être et venir apporter son renfort à l’apprentissage des savoirs.

Il faut alors que des expressions communes du langage utilisent le mot dans un autre sens, de ce qu’un seul exemple peut exprimer, on s’égare dans des anecdotes. Toujours la même histoire, cela demande toute une éducation. Dans une société qui vit selon un code strictement établi et met au jour les décombres d’une ville immense et les restes des chausses de pierre.

Les noms de rues et les numéros de bâtiments sont des bagatelles négligeables, dîtes-vous ? Circule plutôt dans les rues ou prends une carte de la ville... Observe le nom des rues refléter les heures du jour comme on plane de toute éternité, et plonge dans ma vision qui s’égare.

Dans une ville, son langage est fait autant de gestes verbaux que de paroles non verbales. N’est-ce pas ce que nous vivons tous chaque jour, toutes les heures du jour, ou ce à quoi nous aspirons dans les différents lieux que nous fréquentons ou que nous habitons ? Confrontés à l’espace connu, dont pourtant tous les traits nous sont familiers, il nous arrive de ressentir une émotion indéfinissable, l’intuition d’une vérité voilée qui reste à découvrir.

Ferry pour quitter Governors Island et rejoindre New York (Google Street View)

Ne pas trouver son chemin du premier coup dans une grande ville que l’on ne connaît pas (une sorte de ville dans la ville). On est tenté de passer son chemin, ce qui avec le recul est une erreur. Trouver matière à rêve dans les incidents d’une rue mal pavée. Raviver accidentellement nos souvenirs. Travailler son chemin quand il pourrait payer son chemin.

Ne pas trouver son chemin dans une ville, ça ne signifie pas grand-chose. Une sorte de palimpseste, dans lequel doivent transparaître les traces - ténues mais non déchiffrables - de l’écriture préalable.

Ce texte composé en 2005 à partir d’extraits de Fiction, de Jorge Luis Borges, de l’ouvrage Walter Benjamin, Le livre des passages, dont on peut trouver une version pdf de 1000 pages à télécharger en anglais (The Arcades Project) sur le site Seedy fait écho au très beau texte d’Arnaud Maïsetti sur les rues d’Avignon écrit en décembre 2010.


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