Retourner dans cette ville de mon enfance dans laquelle je ne viens pas très souvent, dans cette partie ancienne de la ville que je n’ai plus arpentée depuis très longtemps, où j’ai vécu toute une partie de ma jeunesse, de 1978 à 1993, mais dont je ne garde pas que d’excellents souvenirs. À chaque visite, c’est un autre endroit que j’emprunte. Arrivée à la gare de Combs-la-Ville, dans la banlieue Sud-Est de Paris, la voiture de mon père nous attend côté bus, nous nous engouffrons à l’intérieur, le véhicule démarre rapidement et traverse les paysages typiques de banlieue, abords des voies de chemin de fer, guirlandes de ronds-points tous plus inutiles les uns que les autres, voie express longeant les lignes SNCF dissimulées en contrebas derrière un terre-plein herbeux, rond-point de l’esplanade de la Paix avec ses 34 drapeaux (tous en berne), et la monotone enfilade de pavillons jusqu’au prochain rond-point, celui du collège Les Aulnes où j’ai étudié, libérant sur la droite le monument célébrant la fin de la Guerre d’Algérie (une vulgaire pierre trouvée dans un champs à l’époque), puis le centre commercial et centre culturel La Coupole (un des tous premiers projets architecturaux de Jean Nouvel, les deux centres associés autour d’un parking dissimulant le dernier vestige d’une piscine tournesol.
Tout le chemin se fait si rapidement, à peine le temps d’apercevoir une autre école près de chez mes parents, la Noue de la Sansonne qui me rappelle à chaque fois l’âge auquel je suis arrivé dans cette ville, car la date de sa construction, qui coïncide avec celle de mon arrivée, est inscrite en tuiles sombres sur le toit de l’école. Avec le temps, de plus en plus difficile de lire cette date, mais elle s’est durablement inscrite en moi. Nous voilà chez mes parents. Je garde toujours en mémoire toute cette zone pavillonnaire lorsqu’elle était encore en construction, vaste no man’s land d’herbes folles, et ce que cela représentait pour un enfant de neuf ans d’emménager dans une maison avec jardin, après avoir vécu toute ma prime enfance en appartement, au première étage d’un immeuble, à Boussy-Saint-Antoine.
Les maison vides, en cours de construction, matériels et outils de chantier laissés à l’abandon, terrain de jeu improvisé pour moi et mon ami Stephan qui emménageait dans la maison juste à côté de la mienne, après avoir été mon voisin d’immeuble à Boussy. Nos parents étaient amis et déménagèrent en même temps, à la même adresse, rue Auguste Renoir, pour finalement ne plus se fréquenter une fois sur place. Nous jouions ensemble dans les maisons inachevées du chantier dont l’accès dangereux nous était pourtant interdit, nous roulions sur nos vélos qui se transformaient en chevaux pour convenir aux histoires qu’on se racontait en roulant à vive allure sur la route toute fraîchement bitumée, l’odeur en était enivrante, sur ses bas côtés la terre meuble des champs qui allaient accueillir des les mois, les années à venir, les pavillons environnants. Mes toutes premières photos datent de cette époque là. Les années ont été pour nous, pas contre nous.
Lendemain de fête, envie de promenade, de la caresse du soleil et d’une brise légère sur son visage, qui ravive le souvenir d’anciens parcours en famille après les repas dominicaux, les jambes lourdes, la démarche lente, empesée. Les premiers pas sont hésitants. Mes parents nous conduisent jusqu’à l’ancien stade de rugby de la ville, oubliant que nous y sommes déjà allés lors de notre dernière promenade, il y a un peu moins d’un an. Des maisons, des pavillons ont été construits sur l’emplacement du stade, transformant radicalement le lieu, sa perspective.
Je propose que nous passions par le Parc de Chaussy, c’est un lieu que j’ai toujours apprécié, pour son jardin aux beaux arbres aux essences orientales, un des rares de Combs-la-Ville qui a du charme, une histoire. Jusqu’au début du XXème siècle, cette demeure bourgeoise de 6 hectares est dénommée Le Petit Chêne. On raconte que la propriété a appartenu au XIXème siècle au Docteur Joseph Paban, chirurgien de la Grande Armée. Il y aurait conservé dix années durant, la dépouille embaumée de son fils, mort à l’âge de15 ans. Nous traversons le jardin. Son corps, comme un parc abandonné.
Un homme est perché dans la cime d’un pin dont il coupe les branches mortes, avec ses deux fils qui l’assurent au sol. Personne d’autre dans le parc. Les terrains de tennis à l’abandon, leur sol est verdi par l’humidité.
En poursuivant notre route, nous traversons le cimetière, puis nous remontons jusqu’à la place de l’église.
En l’espace de quelques minutes, je prends plusieurs photographies avec mon iPhone. Mes parents, Caroline et les filles s’éloignent déjà, je me presse pour prendre tous les éléments de la place qui me rappellent pêle-mêle des souvenirs variés, les marches de l’église et son clocher (ma confirmation), le vieux garage fermé depuis quelques années, la MJC (j’y ai montré mes premiers films, lu mes premiers textes en public, je me souviens d’une lecture d’un texte Nous deux encore d’Henri Michaux) au moment d’enregistrer les images, dans le rétroviseur d’un bref instant, ce sont d’autres souvenirs qu’ils déclenchent, tu cherches encore, tu nous cherches place, et ma précipitation semble les activer et les raviver chaque fois plus.