Je me souviens, il progressait dans l’espace incertain en lançant au-devant de lui un ruban blanc lesté d’une pierre. C’est d’abord un texte qui est comme un fil conducteur. Pour être parcouru, l’horizon devait d’abord être fragmenté en petites unités praticables, à pied. La progression se fait par dévoilements successifs, mais chaque voile retiré s’ouvre sur un nouveau voile comme l’inspiration précède une expiration. Reconstruire la manière dont fonctionne la mémoire lorsqu’elle nourrit le présent : par saccades pleines d’erreurs d’information, ou comme un torrent d’images qui en avançant recommencent sans fin. Le paradoxe de l’instant. Il n’y a pas de moments finis. Pour des raisons de recherche de continuité. Une interrogation sans fin du réel par le regard. Je suis changé en témoin d’affaires qu’aucun être humain ne peut plus voir. C’est comme voir apparaître des fantômes, vaguement désirables, dès que le soleil se couche, dans le visage des passants, dans les traits des vendeuses.
Si vous me demandez ce que c’est, je ne le sais pas. Et plutôt que de mettre en pièces, construire des raccords entre différents plans : éléments de classes et de séries hétérogènes. Une image. Surpris de ce qui apparaît sous la main, sous les yeux, si surpris que l’on se précipite pour aller voir par là, au cas où il y aurait quelque chose. Si vous ne me le demandez pas je le sais. Le plus souvent, c’est le cas. Un sentiment d’arrêt, ou de mouvement amorcé. Pour ainsi dire la traduction du successif du monde extérieur dans la forme de notre sens intérieur, le temps. Ce qui peut commencer. Tout ce qui précède explique la grande puissance de l’art des sons ou de la musique du fait que celle-ci est pour nous métaphoriquement un temps condensé et si elle le veut, empli au plus haut degré, et du fait qu’elle lie avec la règle de sa progression la plus grande variation dans ce qui se passe en elle. Ce qu’on envisage avec un mélange de peur et d’envie. Et davantage que cela : mystérieusement.
Les lignes de désir est un projet de fiction, qui se compose d’une suite de monologues qui se font échos parfois dialoguent ou s’interrompent, écriture mosaïque, micros-fictions, ressassement de mots en mouvement dans le sens d’une marche en avant, dans le bruissement, la rumeur de la ville, son quotidien, non pas le spectaculaire de l’actualité mais ce qu’on ne voit pas puisqu’on y est immergé.