Lorsque nous étions à Londres pour passer les fêtes de fin d’année en famille, nous avons visité l’exposition Hollywood Costume qui s’était installée au Victoria and Albert Museum de Londres jusqu’au 27 janvier 2013. Une rétrospective qui examinait le rôle du costume dans l’écriture cinématographique pour mettre en lumière le processus créatif du costumier, du scenario à l’écran.
Nous avions pris la précaution d’acheter sur Internet nos billets avant de partir, retirés au guichet de la gare de l’Est, pour ne pas faire la queue sur place et pour être sûr que ce jour férié nous pourrions bien visiter cette exposition comme prévu.
À peine franchie l’entrée de l’exposition, les fantômes sont venus à notre rencontre. Nous voilà plongé dans le noir, et face à nous un large écran de cinéma nous accueille avec des extraits qui défilent en boucle et l’attroupement des visiteurs se forme très vite dans notre dos, un temps arrêté devant les images qui passent vite et dont notre mémoire tente vainement de dresser l’inventaire forcément incomplet. Nous nous arrachons finalement à la fascination visuelle pour entrer dans l’immense première salle d’exposition.
Tout de suite, comme un emblème des superproductions hollywoodiennes qui prédominent dans cette exposition, nous découvrons les somptueuses soies brodées du Dernier Empereur voisines avec les toiles western de Brokeback Mountains, l’ensemble vert pâle de Tippi Hedren dans Les Oiseaux avec la jupe écossaise, le Barbour et le carré de soie de The Queen, la robe de Kate Winslet dans Titanic et la somptueuse robe de cocktail noire signée Givenchy que portait Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé, ou la robe verte arborée par Vivian Leigh dans Autant en emporte le vent, censée avoir été coupée dans les rideaux du salon de l’héroïne. Ou encore la blouse blanche et la robe-tablier bleue de Judy Garland dans Le magicien d’Oz. Sans parler de la vaporeuse robe blanche qui se soulève pour dévoiler les jambes de Marilyn Monroe quand celle-ci passe sur une bouche de métro dans Sept ans de réflexion.
Mais le souvenir des films est en nous, bien enfoui dans notre mémoire.
Et là, c’est un peu la déception. L’exposition peine à raviver notre mémoire. En entrant dans la grande salle, c’est aux marchés aux fripes que je pense plutôt, toujours mal à l’aise devant le spectacle d’une intimité exposée aux regards des badauds anonymes, les vêtements montrés, exhibés aux yeux avides des passants à la recherche de la meilleure affaire, cherchant le vêtement qui pourrait leur convenir, prendre la forme de notre silhouette, s’accorder avec nos courbes, nos particularités physiques, s’imaginant déjà à l’intérieur, difficile d’essayer les vêtements dans ses endroits à l’air libre. Et toute cette foule qui pousse derrière nous, nous presse de choisir ou de nous éloigner.
La mise en scène de l’exposition a du mal à nous restituer la magie des rôles que ces costumes représentent sauf parfois dans le dénuement de certains costumes qui n’ont rien d’exceptionnels mais avec lesquels nous avons un rapport particulier, intime, avec lesquels nous avons une histoire. Pour moi, ce sera la robe de Scarlett O’Hara (un banal rideau de velours qui par la magie du cinéma se transforme en magnifique robe de bal), et la tenue de Judy Barton dans Vertigo, d’Alfred Hitchcock (un ensemble vert comme la chambre de son hôtel plongée dans une lumière verte donnant à sa silhouette un aspect fantomatique).
Quand je regarde l’émouvant costume de Charlot que Charles Chaplin avait dessiné lui-même avec ces indications de sa main : « Baggy pants, big shoes, a cane and a Derby hat » (haut soigné qui le hausse vers une élégance de l’âme tout aristocratique, bas au ras du sol, dont la pauvreté bien réelle lui colle au corps), c’est ce jeune homme de 23 ans que je vois.
La mise en scène de l’exposition utilise surtout les ressorts du star-system hollywoodien de la mise en scène en mettant notamment en valeur la variété des genres et des différents styles de costumes cinématographiques, à partir des rôles interprétés par Robert De Niro et Meryl Streep.
« Dans chaque film, le costume représente la moitié du travail pour donner vie à un personnage », explique l’actrice Meryl Streep dans un des commentaires qui jalonnent le parcours.
De même, la mise en scène de l’exposition tente de palier l’aspect désincarné des nombreux costumes présentés sur des mannequins dont on a enlevé la tête, remplacé par des écrans qui diffuse l’image du visage du rôle interprété monté en boucle, qui hésite entre le cinéma et l’image animée, mais sans vraiment réussir à restituer ce qui fait vraiment l’émotion d’un souvenir, sans parvenir à faire apparaître le fantôme d’un corps qui n’est plus là depuis longtemps, qui n’a même jamais vraiment été présent, dont la présence fugitive et lumineuse, est l’incarnation évanescente de nos désirs, fantôme aux faux airs de fantasmes.
Dans Les maladies du costume de théâtre, texte paru dans la revue Théâtre populaire en 1955, Roland Barthes dit que le costume est une écriture :
« En somme, le bon costume de théâtre doit être assez matériel pour signifier et assez transparent pour ne pas constituer ses signes en parasites. Le costume est une écriture et il en a l’ambiguïté : l’écriture est un instrument au service d’un propos qui la dépasse ; mais si l’écriture est ou trop pauvre ou trop riche, ou trop belle ou trop laide, elle ne permet plus la lecture et faillit à sa fonction. Le costume aussi doit trouver cette sorte d’équilibre rare qui lui permet d’aider à la lecture de l’acte théâtral sans l’encombrer d’aucune valeur parasite : il lui faut renoncer à tout égoïsme et à tout excès de bonnes intentions ; il lui faut passer en soi inaperçu mais il lui faut aussi exister : les acteurs ne peuvent tout de même pas aller nus ! Il lui faut à la fois être matériel et transparent : on doit le voir mais non le regarder. »
« Le manteau aperçu dans l’encadrement d’une porte rue Boulegon à Aix-en-Provence
Le manteau suspendu à la patère Ornans
Le manteau de Paul Meurisse dans Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot
Le manteau que porte Nikandrow vociférant tandis qu’il joue le rôle de Lénine
Le manteau écarlate d’Es Espolio ou le Christ dépouillé de sa tunique peint entre 1577 et 1579 par Domenikos Théotokopoulous dit (le) Greco
Les manteaux irremplaçables d’Hélas pour moi de Jean-Luc Godard
Modèle habitacle, Pierre Parlant, Le Bleu du ciel, 2004.
Le Manteau d’Étienne-Martin est considéré comme la première sculpture-vêtement de l’art du XXe siècle. Il s’agit d’une œuvre étrange, qui combine des formes abstraites ramassées et des matériaux de récupération, assemblage de tissus, toiles, cuirs, galons et cordes possédant son propre « couvre-manteau » en bâche. Associé par l’artiste à « une sorte d’armure », cet objet totémique archaïque évoque à la fois par sa forme générale les crucifix chrétiens, et par l’accumulation de formes secondaires la statuaire africaine ou vaudoue. Symbole de protection et de mémoire, associé aux lieux de son enfance, Le Manteau est une œuvre intensément plastique et énigmatique.
Son costume de chat de Catwoman, de Christophe Fiat, extrait d’une lecture de Une Aventure de Catwoman, 2001.
« On parle souvent de Superman à cause de la dispute légale incessante entre les héritiers des deux créateurs du célèbre super héros, on parle moins des différentes tenues de l’homme, rappelle Xavier S. Thomann sur le site Actualitté. C’est fort dommage, car Superman n’hésite pas à changer de tenue. On l’imagine toujours dans sa tenue d’origine, rouge et bleue, pourtant il peut être admiré sous d’autres coutures. »
Une innovation vestimentaire perpétuelle qui n’a pas échappé à un artiste indonésien du nom de Imbong Hadisoebroto, présent sur le site deviantART sous le pseudonyme *BongzBerry.
Le lendemain de notre visite de l’exposition Hollywood Costume, nous promenant dans le quartier de Soho à Londres, je prends successivement ces trois photographies.
La première est un autoportrait.
La seconde est une rencontre.
Alors que j’attends dans Greek Street, planté devant un petit magasin de vêtements dans lequel ma femme et mes filles se sont engouffrés avec envie, je vois une silhouette déguisée s’approcher de moi d’un pas décidé, juste le temps de m’emparer de mon appareil photo, de le porter à mes yeux, de viser, que l’homme me fait face, juste devant moi, l’homme araignée passe à mes côtés, me frôle, je le prends en photo à la hâte, il me salue brièvement. Je le vois s’éloigner dans la rue perpendiculaire, étonné de cette rencontre inédite. Je lève les yeux. L’homme araignée vient de disparaître dans Bateman Street. Un signe qui me fait sourire...
Quelques rues plus loin, un homme s’engouffre dans une ruelle, j’ai à peine le temps de le voir que lui aussi a disparu, reste sa silhouette un peu flou et le graffiti qu’il me fait découvrir presque par hasard, phylactère invisible sur mur gris qui laisse son message en forme de mot d’ordre auquel je me plie volontiers : Live, Love, Laugh !