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Les lignes de désir

« Trajets, parcours, topologie, quadrillage, lignes de fuite, lignes de désirs. Espace complexe donc, multitude de points de fuite singuliers, la perspective tourne. Rien d’irrémédiable. Cheminements. On ne choisit pas sa mort ? (.) Troupeau d’éléphants en marche, sans lieu précis, en errance. Chacun son allure, sa vitesse donc. Son désir. (.) Dehors, l’ange d’ELEPHANT fait sortir les corps encore en vie, aide le père à sortir de son absence, sans pathos, dans le silence des grandes catastrophes. Le ciel est vide, inquiet et beau. Une Saison en enfer. »

Isabelle Catalan, La Lettre du Cinéma, n. 23. p. 18.



Un ciel qui s’obscurcit jusqu’à la nuit noire. Un matin d’automne. Dans une allée bordée d’arbres, une voiture zigzague et en heurte une autre garée sur le bas côté, freine brusquement pour éviter un cycliste et finalement s’arrête en heurtant un trottoir. Un jeune homme aux cheveux décolorés, habillé d’un tee-shirt jaune marqué d’une tête de taureau noir, prend les clés de la voiture. Celle-ci était conduite par son père, manifestement ivre. Il s’installe au volant. Un jeune homme brun, dans le parc du lycée, rencontre un couple de punks qu’il persuade de poser devant son objectif photo. Le jeune homme aux cheveux décolorés arrive au lycée. Il téléphone à son frère, Paul, pour qu’il vienne chercher leur père trop saoul pour rentrer. Constatant qu’il est arrivé en retard, le proviseur le convoque dans son bureau. Sur le stade, des garçons jouent au rugby. Une jeune femme en survêtement regarde le ciel s’assombrir. Un jeune homme châtain, survêtement rouge et croix lifeguard dans le dos.

Un ciel qui s’obscurcit puis qui se dégage après l’orage. Comme un atome avec la ville au centre. Les passants en électrons libres. La structure de la ville faite de répétitions et de croisements, d’accélérés et de ralentis multiples. De longues errances. De longs plans-séquences. Quelque chose à travers cette expérience nous montre directement une expérience banale qui nous laisse sans voix. Répétition de mêmes gestes jusqu’à la violence qui vient en perturber l’ordonnance, cet œil mécanisé qui perd parfois les personnages. Nous sommes attirés par les choses qui se répètent sans savoir pourquoi. La volonté de faire tenir dans un ensemble restreint de lieux et de jours, le banal et l’extraordinaire, la quotidienneté et la monstruosité. Un bonheur aussi, parfois éphémère, sorte d’épiphanie du quotidien. Pas d’explications supplémentaires, si ce n’est cette impression d’inquiétante étrangeté au sein d’un monde où tout a l’impression de se répéter tout en étant jamais exactement identique.

Je déteste les histoires, puisque les histoires font croire qu’il s’est passé quelque chose. Or, il ne se passe rien. Les effets de réverbérations indiquent une présence omnipotente, céleste. Les échos démultiplient, décomposent, encore l’espace et le vide glacial. Mais personne ne semble répondre aux échos, personne ne semble vivre ici. On fuit une situation pour une autre. Et, si nous tendons l’oreille, aucun pas ne se fait même entendre, aucun bruit. Tous sont là, fantomatiques. Idée forte de mise en son d’un vide béant prêt à avaler tout le monde, à l’image des perspectives vertigineuses. De nos jours, il n’y a que des situations, toutes les histoires sont dépassées, elles sont devenues lieux communs, elles sont dissoutes en elles-mêmes. Il ne reste que le temps. La seule chose qui soit réelle, c’est probablement le temps. Un monde du silence où il n’y a pas exactement de silence mais une infinité de bruits et dans lequel chacun crée son monde. Fluidité d’une coulée sonore continue.

Le jeune homme châtain pénètre dans les bâtiments du lycée et parcourt couloirs et escaliers. Chacun comprend la vraie nature d’une ville par le biais de ce qu’il en a vu, les quartiers qu’il a traversé, les souvenirs qu’il en garde, ce qui l’a touché. Il croise un groupe de trois filles qui l’admirent, l’une d’elle le trouve trop mignon. Il rejoint sa petite amie au secrétariat du proviseur. Comme dans la vieille parabole des aveugles et de l’éléphant, ce dernier représente pour l’un un éventail, pour l’autre un arbre, ou encore une corde, un serpent. La ville peut-être une rencontre inopinée, une question lancinante. Mais aucun d’entre-nous ne la voit jamais dans sa globalité. Le jeune homme blond est lâché par le proviseur. Il laisse les clés au secrétariat, marche dans les couloirs et se rend dans la salle de détente. Il est 11h10. Dans cette grande pièce, il semble accablé, au bord des larmes. Une jeune fille entre dans la salle et vient l’embrasser sur la joue pour le réconforter.

Les lignes de désir est un projet de fiction, un récit à lecture aléatoire, un entrelacs d’histoires, de promenades sonores et musicales, cartographie poétique de flâneries anciennes, déambulations quotidiennes ou voyages exploratoires, récits de dérives aux creux desquels se dessinent les lignes de désir.


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