Heritage Experience est un service numérique culturel innovant dédié à la valorisation du territoire et du patrimoine. Basé sur une application iPhone innovante, déclinaison d’un projet de recherche, Walking the Edit entamé en Suisse en 2008 par Ulrich Fischer, Heritage Experience permet d’explorer de manière sensible un territoire et d’accéder en mobilité à un ensemble de contenus audiovisuels géolocalisés (images d’archives, interviews d’usagers du territoire, points de vue d’experts, récits d’habitants…).
J’ai testé l’application iPhone dimanche en me promenant dans le Parc de la Cité dans lequel je n’étais pas revenu depuis les années 90, où pendant l’été je travaillais en tant qu’étudiant dans une banque du 14ème arrondissement, chaque année je changeais d’établissement et un été j’ai travaillé derrière le guichet de la Cité Universitaire.
Au fil du parcours, l’application iPhone compile ces contenus en fonction des déplacements et du comportement de l’utilisateur. Un film est généré en temps réel, permettant une mise en récit du territoire.
Les images existent déjà autour de nous : la mémoire audiovisuelle du territoire que l’on traverse “remonte à la surface” et l’on entend via les oreillettes les sons qui proviennent du lieu traversé.
Ce qui est très beau et troublant dans cette expérience, c’est qu’elle permet de très nombreux niveaux de lecture. Alors que je marchais, j’écoutais la bande-son composée de reportages, d’interviews, de trajectoires d’étudiants, de documents d’archives, d’extraits de fictions ou de morceaux de musique, tout en regardant le paysage que je traversais en flânant, les spacieuses allées du Parc de la Cité assez calmes en ce dimanche d’août, seuls quelques étudiants jouaient sur l’herbe, un peu plus loin d’autres bronzaient, lisaient ou travaillent sur leurs ordinateurs portables, certains en couple s’embrassaient, ou discutaient, et j’avançais un peu au hasard, découvrant le lieu de manière inédite, tout en prenant de nombreuses photographies. Ce que j’entendais entrait parfois en écho avec ce que je voyais, notamment lorsque je me suis approché du périphérique, que j’ai traversé la passerelle pour aller vers Gentilly. Et lorsque je suis rentré chez moi, j’ai regardé les films que j’avais créés en marchant, et contrairement à ce que je craignais, l’intérêt était encore présent, car si j’avais entendu la bande son je découvrais avec un oeil neuf les images des films mis bout à bout dans le parcours que j’avais suivi. Et il s’enrichissaient de mes impressions, de mes émotions, de mon regard, et de mes photographies.
En m’approchant du périphérique, sur la passerelle qui conduit au-dessus de l’Autoroute du Sud (A6a est son nom) je repensais au livre de Jean-Christophe Bailly Le dépaysement dont j’ai déjà parlé sur ce site.
« Toujours est-il qu’à Gentilly, dans la partie qui est la plus proche de la capitale, on éprouve l’impression d’aller buter contre périphérique et son mur antibruit et qu’il en résulte, pour les abords immédiats, soit une sorte de dégradation effective, soit, plus fortement encore, un effet de relégation ou de temps suspendu, oublié. »
Alors que dans la bande son de l’application, j’entendais la voix d’étudiants évoquer ce passage et la vie à Gentilly, ou des habitants critiquer le mur anti-bruit, et l’impossibilité de le modifier, je ressentais précisément ce que Jean-Christophe Bailly décrit dans son livre :
« Il y avait cette impression de suspens, les rues bordées de maisons ou d’immeubles semblant avoir été faites pour infuser dans un automne perpétuel, un novembre gris et roux, dénué de tout espoir, avec quelque chose, je ne trouve pas mieux, quelques choses de rassurant dans cette sensation d’un temps alenti, se déposant feuille après feuille, presque imperceptiblement, sur des vies usées, absentes. »
« On marche littéralement le film, déclare Ulrich Fischer, auteur du projet. Au lieu de monter le film avec ses mains, on le monte avec ses pieds. C’est une approche organique du montage. » Le contenu dépend des endroits traversés et la vitesse de déplacement dicte la forme. « Si on ralentit, les plans s’allongent, si l’on court, les plans seront plus nombreux et plus brefs. La forme d’un parcours est très proche de celle d’un film, avec un début, une fin, des changements de dynamique, des revirements. »
Le projet Heritage Experience a été développé par Dédale dans le cadre du programme européen SmartCity, laboratoire d’innovation urbaine sur la ville créative et durable. Heritage Experience fait l’objet d’une première expérimentation dans le Sud de Paris, en partenariat avec la Cité internationale universitaire de Paris.