Marché typique de la ville. Nous arrivons à la fin du marché, les commerçants rangent leurs étals. Visages, sourires, devantures, boutiques en désordre, réduits, accumulation d’objets, de paperasses, de dossiers, dans un désordre maîtrisé, une optimisation maximale de la place disponible, à l’étroit ils semblent à leur aise. Poissonneries, marchands de légumes, de fruits, échoppes de coutellerie, magasins d’épices, de vêtements. Tout le monde connaît notre guide, lui sourit, lui parle, demande de ses nouvelles.
Les commerçants nous présentent tour à tour leurs spécialités. Un pharmacien en âge d’être à la retraite continue de venir chaque jour pour ouvrir sa boutique. Il possède de nombreux autres affaires plus ou moins officielles et déclarées dont cette échoppe modeste est la vitrine légale. Un peu plus loin, une boucherie aux abats fumants dans l’air ambiant. Les commerces sont généralement tenus par des familles, père, mère et leurs enfants s’y affairent harmonieusement.
Nous passons sous la ligne du train et pénétrons sous le tunnel où une série d’étals colorées nous attirent. C’est la partie du marché Coréen, vendeurs de pickles, de poissons ou d’épices. Une odeur de kimchi, préparation de légume pimentée, qui émane des étals du marché coréen de Tsuruhashi, sous les voies ferrées, donne au quartier des airs de Séoul.
Une vieille dame fabrique des boulettes de pâte, semblable à la pâte à crêpe, à base de tentacules de poulpes, kombu, bouillon d’algue, dashi, bouillon de poisson, ciboule, sauce semblable à la sauce okonomiyaki, otafuku, aonori, mayonnaise japonaise, copeaux de katsuobushi (bonite séchée), et de gingembre. La pâte liquide est brûlante. Nous admirons sa dextérité. Il faut sans cesse remuer la préparation qui évolue au fil du temps, pour devenir une boule parfaite qui a l’air délicieuse.
Derrière des petits drapeaux qui cachent le haut de leur corps, des consommateurs pressés mangent penchés sur leurs bols brûlants de Udon.
L’image de la ville que tu me proposais correspondait parfaitement à celle que j’envisageais, tout en contrastes, raccourcis, pleine de couleurs, de sons, de vivacité et d’éclats, de rencontres et d’élans, de bruits et de silences, de découvertes, de correspondances, de passages de témoins, de départs impromptus et de retours enthousiastes. Mais lorsque je regarde les photographies de cette ville dans les rues de laquelle tu m’as accompagné, et d’une certaine manière guidé, je ne m’y retrouve pas, et pire je ne retrouve pas cette ville que tu m’as fait voir sur place. Je ne vois que des cartes postales de cette ville. Je suis un peu déçu forcément, mais je me souviens de ce que tu m’as appris sur l’inexistence des cartes postales au Japon, pays où l’on accorde trop d’importance à l’implication de ce que l’on fait, me disais-tu pour pouvoir se satisfaire de quelques mots écrits au dos d’une carte, et d’un timbre collé. Je comprends que ces photographies sont belles et biens des cartes postales, un ensemble de vues d’un lieu encapsulé dans une même image, à la manière du travail de surimpression de photographies des lieux touristiques réalisé par X., quintessence de ce lieu, et de tous les chemins qui y mènent où nous en éloignent.
Gare centrale d’Osaka et son impressionnant centre d’affaires et de commerce du Grand Front Osaka. Sur la place Umekita le soleil joue avec l’admirable architecture de Tadeo Ando.
Coucher de soleil sur l’immeuble du Umeda Sky Building, immense bâtiment, au design très particulier, qui culmine à 173 mètres de haut et est constitué de deux tours jumelles de quarante étages, reliées entre elles par un observatoire circulaire. Il arrive que le reflet du soleil se diffracte sur les trois faces de l’immeuble.
Ces parcours se construisent sous le mode du dialogue, dans la répétition de trajets entre des lieux que tu connais parfaitement et les envies de découvertes que nous te suggérons, il faut concilier les deux, tisser entre ta connaissance de la ville, ce que tu veux nous en montrer, et notre imaginaire de la ville (ici comme ailleurs), ce qu’on s’attend, espère à voir. Le canevas est suffisamment lâche, large, évolutif, qu’on peut inventer à deux, sinon pense-tu à juste titre, c’est juste une visite guidée.
Il est cinq heures. Nous sortons de la gare, montons sur un parking entre les immeubles du quartier. La pleine lune se voile derrière un voile de nuages encore rosé du soleil qui se couche à l’horizon. La nuit va tomber très vite désormais.
Un temps au milieu des immeubles de bureau pour permettre aux employés de venir prier. Garder son emploi, recevoir une augmentation...
Quand je parle de safari-photo les gens autour de moi sourient, il y a des animaux en ville au Japon ?
Nous montons dans un immeuble pour voir Osaka de nuit. De ce point de vue, on peut apercevoir une petite chapelle pour les mariages en contrebas qui, à la hauteur où nous trouvons, prend des airs de maison de poupée.
Le promontoire dans la ville offre une vision globale de la cité, c’est une fiction bien sûr comme toute carte qui n’est qu’une version, une transcription du réel, pour s’y repérer. La satisfaction qu’on y trouve, accoudé négligemment sur le rebord de la balustrade, l’œil balayant l’ensemble du panorama. Prendre de la hauteur. Cette sensation a quelque chose à voir avec cette disposition.
Dôtonbori, c’est sans doute le quartier le plus célèbre d’Osaka, place incontournable de la ville Japonaise. Néons, lanternes, odeurs qui s’échappent d’échoppes de Takoyaki fumantes feux le soir. Bars, clubs, restaurants, magasins de tous les côtés. Et la foule des grands jours. Surtout la nuit.
« Dotonbori, écrit Angelo Di Genova qui fut notre guide de la ville d’Osaka, c’est la facette la plus connue d’Osaka, qui est la ville populaire nippone par excellence. Cité généreuse, kitsch, un brin bourrue. À Dotonbori, le raffinement n’est pas la fond de commerce même s’il se trouve ça et là. Ici c’est surtout excessif et jouissif ! Du son, des couleurs, des gens et l’effervescence qui se mue en énergie.
Dotonbori, c’est aussi un symbole car on n’y trouve le vrai « Osaka Style ». Pas de simples néons ici. Dans ce quartier ils sont énormes, comme le fameux GlicoMan ! À l’instar du célèbre crabe géant du restaurant Kani Dôraku, les devantures des établissements sont ici en relief ; de véritables sculptures commerciales urbaines. On se croirait dans un parc d’attraction ! »
Dans le petit temple Hozen-ji qui date du 17ème siècle se trouve la statue du dieu bouddhiste Mizukake Fudo Myoo. Dans ce quartier commerçant, les employés et patrons des établissements de nuit, ont l’habitude d’aller faire une prière dans ce temple avant de commencer leur travail. Ici, il faut jeter de l’eau sur la statue (qui est toute recouverte de mousse et méconnaissable du coup) pour espérer être exaucé.
C’est à présent l’immobilité qui devient une fiction.
J’imagine les trajets que je pourrais emprunter à Paris pour arpenter la ville comme tu le fais, j’avais suivi plusieurs pistes l’année dernière, chercher des endroits aux styles, allures, rythmes différents, passer d’un quartier calme aux airs de province, aux rues trépides d’un quartier commerçant, puis s’évader vers un lieu figé dans le passé, en traversant un quartier d’affaire, puis prendre de la hauteur pour voir Paris d’en haut, en appréhender différemment le plan. Mais qui pour suivre ces visites guidées détournées de leur écueil touristique, leurs lieux communs ? Qui voudrait être étranger dans sa propre ville, partir à sa découverte hors des sentiers battus, à la dérive ?
Photographies sur Osaka, octobre 2015 :