
Vases communicants : Pierre Cohen-Hadria. En savoir plus sur les Vases communicants et sur mes textes écrits à cette occasion depuis le début de l’opération.
C’est en découvrant le journal de chantier de Piero de Belleville, dans le Petit journal du site de François Bon, que j’ai commencé à tenir un Journal de bataille] sur les chantiers de la ville et leur évolution au fil du temps. Le texte ci-dessous et celui que Pierre Cohen-Hadrai accueille sur Pendant le week-end, forment un journal de chantier à suivre sur les deux sites.
Il y en a certainement d’autres, ça n’a rien d’exceptionnel, mais les immeubles parfois vous parlent. Bizarrement, quelque chose en eux est là qui vous interpelle. Ca ne fait pas de bruit, (« ça ne prévient pas ça arrive/ ça vient de loin/ça s’est promené de rive en rive/la gueule en coin » disait Barbara), mais il y a là quelque chose qui s’impose.
mars 2011
Le passé, c’est cette mémoire qui se reconstruit, elle-même transformant alors ce qu’on en pensait et qui devient ce qu’on pensait alors voir, une certaine réalité, un travestissement (ce qui me fait penser à Visconti qui revêtait de tulle des rues entières de Milan pour y figurer le brouillard, dans son film « Nuits Blanches » 1957)
mars 2011
et ce coin de rue, en vrai un boulevard et une rue du faubourg, et une place de bataille, ce coin où naguère (jadis ?) se tenait un café bar restaurant le midi, tabac, je fumais alors ce qui ne m’empêchais pas de marcher, et pour ne pas changer, ne pas prendre la ligne qui, de Belleville s’en va à Etoile en passant par Barbès et Rome
janvier 2011
Après Col Fab elle sort, passe devant la manufacture d’instruments de musique (je me demande si elle n’est pas « générale » d’ailleurs ») pause à Jaurès, après quelques virages arrive ici, et de là, ce coin, cet ex-tabac, je l’ai dit ailleurs, n’importe, un type maigre derrière le bar, la patron auvergnat rouge, lunettes, fort comme dit le monde, et la saucisse à l’aligot, quelque fois, le verre de vin, les cigarettes et les éboueurs qui jouent leur paye, et puis voilà
novembre 2011
détruire, disait-elle
février 2012
pour reconstruire, et de moi-même, je regarde, photographie, passe ici, change, mes pas me portent mais mes genoux plient, je marche toujours, j’avance, je reconstitue, je construis une sorte de mémoire de ce lieu qui n’a pas existé, qui n’a pas d’existence sinon dans ma mémoire et quelque fois, croisant là l’ex-barmaid qui, avec son chien péniblement avance, elle aussi, les ans aux épaules et l’amertume aux traits tourne le coin du faubourg, je ne l’arrête pas, je n’en pense pas moins, j’avance et continue, sur l’arrondi de la place, ou en métro découvre le canal qui va au sud-est, au loin vers la Bastille
octobre 2011
oui, ma main a tremblé, ou il n’y a pas assez de lumière, il n’y en a jamais assez d’ailleurs, ma route et mon chemin, croisant ici ce canal aux rives lentes, plus haut au nord, la centrale, elle aussi détruite, plus haut encore, toujours au nord les abattoirs où travaillait mon oncle R. import export de porc en Chine tu connais, l’âme des bêtes mortes, j’aime à savoir que dans ces hauteurs se tenait la bibliothèque de l’IDHEC (c’est que j’aime le cinéma), dans ces préfabriqués, quarante années peut-être, un coin de rue, une rotonde envahie de mets sophistiqués pour bipèdes d’un même tonneau couleurs vives et coiffures captieuses, la recherche dans le bijou, donnant juste envie de démolir, en face c’est fait, à la place que verra-t-on, un truc en rond probablement, qui ne durera qu’une dizaine de lustres, nous n’y serons plus (enfin moi) et ces émotions inutilement aiguës ne seront de rien, le monde va, je l’arrête, le répertorie et le date, j’écoute ce qu’il me dit, c’est pour qu’il ne passe pas, pour que le passé cesse sa course vers le lointain et son oubli, pour que la vie soit belle
À lire sur les Carnets de Pierre Cohen-Hadra du site Pendant le week-end la suite de mon Journal de bataille : La ville est un texte à trous.