

Ce livre regroupe deux textes de Claude Favre qui se font écho. Temps mêlés confronte éclats du présent et réminiscences personnelles, tandis que Membres fantômes entremêle trois voix (publique, intime et poétique). Écriture de l’urgence et de la lucidité blessée, ses textes refusent l’apathie ambiante, les postures esthétisantes ou les silences complices. Claude Favre y affronte de plein fouet guerres, exils, ravages écologiques, et les fait entrer dans le langage. Elle écrit depuis un trop-plein du réel, une saturation d’horreurs où la poésie demeure pourtant un espace de résistance, de vérité, voire de consolation. Sa voix, radicale et dissidente, en colère, refuse de détourner le regard. Un appel vibrant à une parole vivante, risquée, essentielle, qui engage le corps, le souffle, et rend à la poésie sa puissance d’agir.
Membres fantômes / Temps mêlés, Claude Favre, LansKine, 2025.
Extrait du texte à écouter sur Spotify
je dirai
avec nos morts, notre étymologie perdue
loups panses, de vivre
un goût prononcé pour l’inattendu
l’accidenté je dirai le travail de nos cœurs
je dirai, opiniâtrement, mâchoires
comme taureau hurlant qu’on égorge
comme poule au couteau, peau qui tremble
travail de ventriloque cuisine
opiniâtrement, les mots impies
pour se décider, sauvages
sans escorte ni peu
nos cœurs inquiets, bêtes crevées
parce que la mémoire ce n’est pas
le souvenir
sauvages nos ciels rouges
je dirai
dès que la peur
le refus de savoir
ce qui ne plaît pas
ne jamais remettre l’église jamais au centre du
ne cesser comme disait Elias Canetti de discréditer la mort
n’oublier la petite chèvre de
coudre un pantalon de marin, quelques nuages
mais encore du bleu
alors que Mandelstam ne dit, jamais ne dira ce qu’il a subi dans les jours et nuits de la Lubjanka
alors que cet autre, à peine 14 ans, de Sibérie devient icône du communisme, pour avoir livré son père à la police
sommes épuisés sans force, des convois arrivent de partout
je fais le même travail que toi, journaliste, prendre vie risque
que le dernier mot ne soit pas aux bourreaux, qui racontent
que ces derniers mots de sueur et de sang remis à toi veuve le 30 novembre arrestation, maison cernée, etc., etc.
d’esprit Ginette, planquage sous menace, menottes, départ Kommandantur, etc., etc., etc.
ils racontent, on ne peut se fier à la réalité racaille
trop tard, le nationalisme occupe immédiatement les terres
restrictions alim, beaucoup de tubars, soins dérisoires, etc.
le 29 mars 44, ce message sur la voie transfert d’Angers à Compiègne, chers bien aimés, cette fois, c’est le départ
qu’est-ce que la grammaire, Robert, peut dire des départs
Anthelme dire, Desnos, des départs
et te souviens-tu, non seulement corps désigne l’organisme vivant alors cadavre, corps inanimé, et te souviens-tu que ce corps fut corps, avec ses voix dans leurs tendresses, si vaguement précisément, ce corps un corps pour des proches, l’amour, pour la vie
et te souviens-tu de Mallarmé danseur d’entre les lignes tremblant se souvenant du mouvement de la yole d’Anatole
et des Grecs des Mésopotamiens, te souviens-tu, amateurs d’histoires, entre autres, te souviens-tu de leur vision autre que la nôtre, différemment toujours à une certaine distance
et si le regard vient de l’œil un pouvoir sur les choses et le corps est un départ et si sommes différents de sommes semblables, l’oreille au cœur, hagards pour imaginer penser autrement, ne pas attendre la fin du bal payer l’orchestre, etc.
ils racontent, de ne savoir, ni vu avoir ni entendu mais savoir qu’il faut suivre les protocoles d’interrogatoires il faut
fascinants, veuillez, etc.
expliquez, avouez, votre travail criminel de traître, vous êtes écrivain, espèce nuisible
hachoir à viande, la Kolyma, ses morts toujours falsifiées
ils racontent, que le présent foule la beauté, détenu Babel
que ce qui semble de sang n’est pas toujours vrai, avouez
que Farkhunda lynchée à Kaboul, avoir dénoncé un mollah
faisant commerce de ses bénédictions, ce que ça coûte
que c’est vrai la douleur de sa mort
et toutes celles qui durent s’exiler et celles qui ne purent
ils et celles, membres fantômes, sommes, apparentés
et nous allons mourir ensemble
et te souviens-tu du plus jamais ça Goya implacable, d’incertitudes animer est un autre des verbes d’aimer, et des désastres de la guerre, d’incertitudes, d’entre les lignes
et des forêts profondes de Barbara
Membres fantômes, Claude Favre
les niveaux de contamination atmosphérique en ruthénium 106, et dans les autres pays européens, la présence de Dieu s’appelle aussi Rohingya, d’autres morts, changer le propos dit Godard, moi je viens voir la population, la diversité est la meilleure ressource dont nous disposons, il n’y aura plus de sardines déjà en janvier et février, et si une action décisive, des risques des peurs, un départ, dès que vous devenez Français vos ancêtres sont Gaulois, la momie du muséum de Cherbourg va passer un scanner, sauf que, la Gaule ça n’existe pas c’est comme le hareng saur, n’existe pas, prise en compte des risques, où es-tu jeune fille cherchant le Pérou beau mensonge pourquoi, des problèmes plus importants, mains tendues, sauf que la pensée consensuelle ça raconte des histoires, tu peux émettre maintenant, les armes sont là, c’est par où le léger désespoir
et comment vont les Pussy Riot, agir, un certain optimisme transparaît, il est plus rentable d’élever en pots et de tailler les buis en Chine, la fraude des baisers, la Chine prend des décisions simples, mais comment va Oleg Sentsov, chacun investit allégrement, en échange de quoi, mains tendues, à Kigala mais ça n’existe pas Kigala, on a assez de problèmes chez nous, régimes aux abois, c’est la base, ça ne marchera pas, la Chine jusqu’à preuve du contraire, aussi bien que dans le domaine de la sécurité, ensemble dans votre beau pays, on remercie d’aider un homme à terre, largesse des magnats, pas de problème majeur
au Soudan la junte tire sur la foule, un dingue suprématiste fait feu en protestation contre l’invasion hispanique il dit, I love you, Paul Kagamé diversifie les alliances intérêts favorables, rapports de force favorables dans tous les rades, tourisme à Auschwitz, bortsch à Tchernobyl, pélerinage à Kigali, Tintin toujours au Congo, et ils maîtrisent les règles du marché, welcome
tous les doigts brûlés, j’ai pris la France en pleine gueule, trafic ferroviaire danois venant d’Allemagne suspendu, comme si j’étais à l’abandon, Malmö Suède refugees, est-ce qu’en mourant on devient une meilleure personne demande une vieille dame qui se prépare à la mort, qu’elle aime tant la vie, le passé reviendra, interdit aux tsiganes, le vent dans les cheveux des filles, bannir la musique nègre, dogmes, violences, records battus, le passé reviendra, multipliés par 3 par 4, les cochons de la Ferme des animaux d’Orwell, tous les non-juifs comme citoyens de seconde zone, les corps disparaissent, l’Europe a perdu l’espoir, il y a des routes, le récit d’une guerre est une chose banale
Soraya a 17 ans, qui s’est jetée sur les rails du RER, d’où rêvait Soraya, d’où les corps disparaissent, d’où Alicia qui lave du linge pour 3 dollars/jour, l’équivalent d’un demi-kilo de sucre, un pain de savon un sac de maïs, le travail des mots est sublime, maître d’œuvre de la machine de mort, peut-être que ce sera, on est un peu à côté de ses pompes on va chez le psy, on lit de la poésie, ne pas soi-même, quel début à la vie, on est important, il y avait du sang et des morceaux de cervelle partout
les corps disparaissent, quel début à la vie, les mères rêvent de pouvoir les enterrer et continuent à vivre, sans croire totalement à leur mort dit le directeur d’un théâtre à Gaza, Ali Abou Yassine donne une pièce, Al-Qafas, la cage enfermement des mensonges officiels et de chacun, déplacement du regard, l’autre, c’est quoi le succès, les mêmes questions, claquements de portes, Croatie renvoyant les migrants vers la Hongrie, par les trains, Hongrie renvoyant ceux-là mêmes vers l’Autriche, par les bus, Munich, voyagistes, hôtels pris d’assaut, 6 millions et demi de personnes à la fête de la bière, hope
que pensent les jeunes Chinois aujourd’hui, lignes de force, tendresse, téléphone à l’unité en prison, la haine cœurs à détester le présent, nous ne sommes pas en dehors du monde, pour des élèves d’une école aborigène dans la région australienne du Pilaba, brutalement, veux-tu venir avec moi, etc., aller en cours n’a jamais été aussi fun, il faut que les vaches, que pensent les vieilles personnes au Soudan de leur armée, même si ce n’est qu’une nuit
pays rural pauvre, organisation quasi-féodale, une énorme bulle de gaz incandescent, et si la poésie peut sauver le monde pourquoi elle ne, le long calvaire des survivants, et comment va Oleg Sentsov, nous ne pouvons plus imaginer, dans les gravats un piano brûlé, partir, créer son époque, les consoles de jeux vidéos des Daesh, il suffit d’insister, de quoi désormais pourrais-je avoir peur, de petites choses, partir, dans les décombres, mais où sont les Pussy Riot, culte de Mithra interdit pour risque de concurrence avec le christianisme, on ne reconnaît pas les faits, marins pauvres de Bombay, touristes à Bombay, et comment vont les territoires palestiniens, Banksy crée son hôtel Walled-Off
Eskilstuna à l’est de Stockholm, un permis est nécessaire pour mendier, et parmi les fous, ressemblant plus à une attraction Eurodisney qu’à une école, pour obtenir des papiers s’inscrire en ligne, pour les pauvres des pauvres on bureaucratise, dette envers qui, la vie moderne, même si ce n’est qu’une nuit, migrant, réfugié, tramp, un soldat jeune bouche ouverte tête nue, mauvaise affaire, on naît, on marche, n’empéche le soleil ne fait plus frissonner sa narine écrit Arthur Rimbaud, Dadaab, on naît dans le camp, on meurt dans le camp
Palmyre est le nom d’une prison syrienne, l’Europe nait dans les souliers, changer un bébé, lentement ils se taisent, un cadavre un oiseau picore son oeil, c’est toujours aujourd’hui, manger le pain des Français sur le territoire souche des Français, ça ne marchera pas, préfecture du Loiret on expulse des locataires pour des migrants dit-on, migrant est un mot suspect, que des hommes suspects pour Marine Le Pen, intox la photographie du petit Aylan un montage on dit, de quoi désormais pourrais-je avoir peur, intox, migrants refusant de la nourriture non halal, intox, la France envahie, submergée, entre toi et le monde
il y aura une baisse des ventes, au bord du gouffre, entre toi et Alep, il y aurait des vides stratégiques, on appelle au calme, parce que supposés être complices de terroristes, gages envers la société civile, heureusement c’est le printemps pour les poètes, j’en appelle au gouvernement, on tourne en rond il paraît que c’est normal, une jeunesse ancrée dans la violence, écoutez en silence chaque poignée de gravats, patate chaude, ça ne marchera pas, je ne sais plus ce que je dis, etc., etc.
Temps mêlés, Claude Favre
Membres fantômes / Temps mêlés, Claude Favre, LansKine, 2025.
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