Mardi 9 septembre 2025
(in)visibilité(s)
Revue TINA publiée par les éditions JOU

TINA, revue publiée par les éditions JOU, se veut un espace d’expérimentation où se croisent écritures, réflexions et créations. Elle met en lumière des auteur·e·s et des artistes qui osent sortir des sentiers battus, refuser la facilité et s’aventurer vers des formes nouvelles, imprévisibles. À la fois laboratoire littéraire, politique et artistique, TINA s’affirme comme un terrain de recherche critique et inventif, en mouvement permanent. Accessible gratuitement en version numérique tout au long de l’année (TINA online), elle prend la forme d’une édition papier annuelle, publiée au mois d’octobre. La revue se prolonge par des événements réguliers, rencontres et actions, qui font de TINA un lieu vivant, collectif et évolutif.

Le nouveau numéro de la revue TINA s’articule autour d’un thème central, la dialectique entre invisibilité et visibilité, envisagée comme enjeu de pouvoir, mais aussi comme ressource critique et stratégique. L’invisibilité peut être imposée, lorsqu’elle découle de structures sociales, économiques ou linguistiques qui effacent certaines catégories d’individus, ou choisie, lorsqu’elle devient tactique de résistance face aux logiques d’exposition et de marchandisation. La revue met ainsi en lumière comment les pratiques artistiques, sociales et politiques jouent avec cette frontière pour inventer d’autres manières d’exister.

Un premier ensemble de contributions s’intéresse à la tyrannie de la visibilité. Dans une société saturée par l’économie de l’attention et l’injonction à se montrer, la surexposition devient norme et contrainte. Les auteurs s’appuient notamment sur les travaux de Harcourt, Haroche ou Auber pour souligner que cette « société d’exposition » convertit toute œuvre et tout individu en produit. Jean-Charles Massera ajoute que la langue elle-même est un outil d’invisibilisation : ses structures patriarcales et colonialistes rendent invisibles les femmes, les minorités sexuelles ou les migrants, reproduisant des hiérarchies sociales à travers des distinctions terminologiques apparemment neutres.

La revue s’attache également à critiquer des systèmes techniques et institutionnels qui produisent de l’effacement ou du silence. Olivier Auber décrit l’Internet comme une « maison en bois », une architecture fragile et inflammable, parce que le protocole unicast s’est imposé historiquement, il a favorisé la centralisation et la domination des GAFAM, au détriment d’alternatives plus démocratiques comme le multicast. Christian Salmon aborde la disparition progressive de la nuit à travers le phénomène de pollution lumineuse : cette « colonisation du continent nocturne » affecte gravement la biodiversité et modifie notre rapport au monde, révélant une autre facette de l’Anthropocène. Sébastien Biniek et Elizabeth Hale livrent, quant à eux, un témoignage sur la fermeture de l’École d’art de Valenciennes, conséquence des politiques d’austérité. Cette disparition institutionnelle n’est pas seulement celle d’un lieu d’enseignement, mais d’une mémoire collective et d’un ancrage territorial.

Noctalgie, par Christian Salmon

Un autre axe majeur de la revue est consacré aux pratiques artistiques qui inventent d’autres formes de présence et d’action. Christophe Leclercq s’intéresse aux artistes qui, comme Duchamp ou Raivo Puusemp, choisissent la discrétion, refusent la visibilité institutionnelle ou produisent des « œuvres sans œuvre ». Cette posture critique défie l’hégémonie du marché de l’art. Aurélia Zahedi décrit la Maison Auriolles, espace communautaire et laboratoire de recherche artistique, qui rejette les logiques de rentabilité et cultive le lien, l’expérimentation et la convivialité. Elle évoque aussi le Chœur de showmeuses, un collectif qui use du chant pour rendre audible le travail invisible des femmes et questionner le chômage, faisant de la voix un outil à la fois poétique et politique. Dans une veine proche, Clément Bleu — Pays développe des interventions discrètes dans l’espace marchand, où il insère photographies et monochromes sans chercher la reconnaissance : ses œuvres agissent comme antidotes à l’anesthésie culturelle.

La question de l’archive, entretien avec François Deck par DeYi Studio.

La revue insiste aussi sur le rôle de la mémoire et de l’archive comme processus vivant. François Deck, par sa pratique des banques de questions, préfère l’échange à la documentation systématique : il rappelle que chaque individu est une archive précieuse. Éric Arlix imagine, dans ses Extractions, des personnages qui échappent à leur « texte fantôme », concept emprunté à Shoshana Zuboff pour désigner la prédiction algorithmique de nos comportements, afin de retrouver une vie imprévisible et affranchie. Céline Domengie analyse quant à elle l’œuvre de Bernard Ollier, Le livre qui n’existe pas, installation en librairie qui rend visible l’absence même, interrogeant la matérialité du livre et la valeur de ce qui échappe à l’exposition muséale.

Michel Baggi et Bernard Ollier installent l’exposition du livre qui n’existe pas.

Certains textes introduisent des notions particulièrement frappantes. Le « syndrome du réverbère », décrit par DeYi Studio, illustre la dépendance des artistes à l’exposition. Comme quelqu’un cherchant ses clés sous un lampadaire parce que c’est le seul endroit éclairé, beaucoup d’œuvres ne sont reconnues que dans le champ institutionnel visible, au détriment de pratiques situées en dehors, considérées comme marginales. La revue recense aussi des initiatives “furtives” ou “compatibles”, comme celles de Fabrice Gallis ou du Bazaar Compatible Program de Shanghai, qui inventent des formes d’art invisibles mais actives dans d’autres contextes.

Le syndrome du réverbère, par DeYi Studio.

Ce numéro de la revue TINA (in)visibilité(s) montre, sans opposer frontalement le visible et l’invisible, comment leur tension ouvre un espace de création, de critique et d’action.

Revue TINA
à paraître le 15 octobre 2025

192 pages – format 13 x 20 cm

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